Modèle de Système de Soins pour le Sénégal : Une approche décentralisée autour des 8 pôles territoriaux (Par Pr Moustapha DIEDHIOU)
La vision Sénégal 2050 promeut un développement territorial équilibré à travers 8 pôles économiques régionaux. Pour aligner le système de santé sur cette vision, nous proposons un modèle horizontal et décentralisé, rompant avec la pyramide sanitaire traditionnelle (centralisée à Dakar et autour des capitales régionales) au profit d’un réseau de 8 Pôles Hospitaliers Territoriaux (PHT). Ce modèle intègre les trois déclinaisons classiques d’un système de santé : la prévention, les soins (secteur curatif) et la réadaptation (utile pour la réinsertion socioéconomique du patient). La mise en place et la résilience de ce modèle reposeront sur une stratégie fondamentale qui va intégrer la maitrise des données sanitaires et un financement innovant adapté au contexte socioculturelle et économique du Sénégal.
Le système de santé du Sénégal doit être repansé, refondé, réinventé, répondre à nos préoccupations. Notre système de santé doit soutenir nos aspirations inscrites dans l’agenda national de transformation Sénégal 2050 dans son axe 2 qui prône « un Capital humain de qualité et une équité sociale » et recommande de « mettre en place un système de santé performant et accessible à tous ». Nous devons saisir cette opportunité offerte par l’agenda national de transformation Sénégal 2050 pour proposer, construire et consolider un système de santé fort, résilient, audacieux répondant aux problèmes de santé des sénégalais.
En effet, la situation sanitaire du Sénégal est marquée par une croissance des maladies non transmissibles telles que le diabète, le cancer et les maladies cardiovasculaires mais aussi une prévalence des traumatismes par accident de la voie publique (prévalence de 11,4%). On estime que les maladies non transmissibles sont à l’origine de 34% de tous les décès. En ce qui concerne la mortalité infantile, elle présente d’importantes disparités selon les régions. Les régions de Kolda,
Kédougou et Sédhiou enregistrent les niveaux de mortalité les plus élevés (100,6‰, 95,6‰ et 79,9‰). [Enquête STEPS-MSAS 2023]
En dépit de plusieurs efforts consentis pour l’amélioration du cadre administratif et des secteurs de prestations de soins, notre système de santé dispose encore d’une organisation pyramidale avec des niveaux de prestations et d’accès aux soins inégaux entre structures de santé et donc entre citoyens sénégalais. Toutefois, force est de constater que cette structuration de notre système de santé est un héritage de l’organisation coloniale non égalitaire qui prédisposait d’hôpitaux de province et d’hôpitaux pour indigènes. Il est temps d’adapter ce système à nos réalités et de proposer une structuration plus équitable , plus respectueuse de l’équité, de notre constitution et en phase avec « un Sénégal souverain, juste et prospère dans une Afrique en progrès » 1. Une Structuration Territoriale : Création de 8 Pôles Hospitaliers Territoriaux (PHT) : Ce modèle rénové de notre système de santé s’articulera autour de 8 pôles hospitaliers territoriaux (PHT). Chaque pôle hospitalier territorial regroupera des infrastructures sanitaires réhabilitées ou construites autour d’un hôpital de référence. Cet hôpital de référence sera un centre hospitalier national (CHN) ou un CHU à construire autour des facultés de médecine ou UFR santé. Cette structure de référence aura des spécificités par pôle de développement adaptées aux besoins locaux. Elle devra tenir compte aussi de l’analyse des risques sanitaires par zone proposée par le Centre des Opérations d’Urgences Sanitaires du Sénégal.
(Exemples : maladies chroniques, pathologies tropicales, pathologies environnementales ou circonstancielles). Autour de ce centre hospitalier national déjà construit pour certaines régions graviteront l’ensemble des autres structures de santé.
Ces zones sanitaires travailleront en étroite collaboration avec les pôles universitaires pour une meilleure stratégie de gestion des ressources humaines et matérielles.
A propos de la Gouvernance : Chaque pôle hospitalier territorial (PHT) sera géré par un Pôle Régionale de Santé (PRS) autonome, pilotée par un conseil mixte (état, collectivités locales, universitaires, praticiens, secteur privé). Ce modèle décentralisé admet plusieurs avantages stratégiques en matière de gouvernance sanitaire, d’efficacité des politiques publiques et d’équité territoriale. Il favorisera une optimisation des ressources (exemples : centralisation des commandes publiques, mutualisation du personnel, mise en place de chaîne de montage et de maintenance des équipements sanitaires). Il facilitera aussi une amélioration de l’accès aux soins et de la couverture sanitaire, une réduction des disparités régionales et un développement de réseaux de soins intégrés. Ce modèle favorisera un renforcement de la surveillance épidémiologique, une meilleure gestion des urgences sanitaires par la souplesse des procédures et la proximité des effecteurs d’urgences médicales. 2. Un modèle de renforcement des trois secteurs clés de la santé : a. Le secteur de la prévention :
Au Sénégal, les centres de santé jouent un rôle important dans l’application de la politique de prévention sanitaire. L’adoption d’un système de santé basé sur des PHT permettra à ces derniers d’appliquer davantage les politiques de prévention contre les MNT (actuel fléau au vu de la transition épidémiologique) en y développant les consultations spécialisées. Dans ce modèle, les centres de santé deviendront donc des hôpitaux secondaires qui graviteront autour de l’hôpital de référence de la zone et pourront abriter des actes spécialisés (chirurgie mineure, chimiothérapie, explorations fonctionnelles…) afin d’élargir l’offre de soins.
En plus du rôle joué par les districts de santé, le secteur de la prévention sera renforcé par le développement de la médecine libérale. En effet, par des mesures incitatives (exemples : réduction des impôts, facilitation d’accès au foncier ou par Partenariat Public Privé …), des médecins seront amenés à s’installer en zones rurales. Par la proximité médicale avec les populations, ils y développeront et appliqueront la médecine préventive approuvée par le MSAS. En effet, le suivi des pathologies chroniques et maladies non transmissibles reste très difficile en zone rurale et/ou péri-urbaine. Enfin, pour améliorer et sécuriser les campagnes de vaccination, seront déployés des Systèmes d’Information Géographique en Santé (SIGS).
b. Le secteur curatif : Plateaux Techniques et Réseaux Intelligents
En plus de la construction de nouveaux hôpitaux, toutes les structures de santé seront réhabilitées avec des standards de qualité préalablement validés. Grâce au renforcement de la prévention, les hôpitaux pourront se concentrer pleinement sur leur mission curative. Leur fonctionnement sera basé sur un modèle de Pôles Hospitaliers Territoriaux qui favorisera :
- La mutualisation des équipements :
Scanner/IRM partagés entre hôpitaux d’un même PHT Centralisation de la stérilisation, Mutualisation des centres d’explorations fonctionnelles encore inexistants en région
- La mutualisation du personnel surtout dans notre contexte de rareté de médecins spécialistes
- Le déploiement de la Télémédecine : Connecter les centres de santé ruraux aux CHU via des projet de télémédecine surtout au niveau des déserts médicaux et des zones difficiles d’accès telles que les zones Nord, Est, Centre et Sud.
D’autre part, la gestion des médicaments et intrants sera facilitée par l’installation dans chaque service de soins d’un système automatisé de distribution des médicaments. Ce système interconnecté avec les pharmacies régionales d’approvionnement (PRA) et les pharmacies nationales d’approvionnement (PNA) permettra un approvisionnement en temps réel, une meilleure gestion des stocks et un meilleur suivi-évaluation de la consommation. c. Développement du secteur Ré-adaptatif : Parcours de Soins Intégrés
Ce secteur souvent oublié ou inexistant dans notre système de santé sera renforcé par la création de centres de réadaptation. Ces centres sont très utiles dans le processus de récupération des patients et leur réintégration dans la société. 3. Un financement innovant et une Couverture Sanitaire Universelle : Socle du modèle
Le financement de la santé au Sénégal en 2022-2023, repose principalement sur les ménages (41-43 %), complété par des contributions limitées de l'État (19,8% à 21,3%) et des partenaires techniques et financiers (22-23,2 %), tandis que la CMU reste insuffisamment déployée pour réduire la charge financière des populations. Dans le nouveau modèle PHT, nous proposons un modèle de financement du système de santé basé sur :
- Cotisations élargies en procédant à des prélèvements de 3 % du salaire pour les fonctionnaires et contractuels.
- Secteur informel : des mesures incitatives seront instaurées pour faciliter tout travailleur de ce secteur à obtenir un contrat (incité par des avantages fiscaux). Sur cette base, des cotisations via mobile money seront encouragées.
- Fonds Zonal de Solidarité : Ces fonds seront alimentés par les taxes sur les industries locales (exemple : industrie du pétrole et du gaz, entreprises télécommunications, banques et sociétés de transfert d’argent, société d’assurance, agroalimentaire et mines,).
- PPP : Attirer des investisseurs privés pour la construction des infrastructures (exemple. : groupes spécialisés dans la construction de réseaux de cliniques spécialisées).
Cette manne financière pérenne ainsi générée sera un levier pour : la construction d’infrastructures hospitalières, l’acquisition d’équipements de dernière génération etc. Il convient de noter que ce modèle économique et fiable, n’impactera pas sur le coût des soins qui seront entièrement pris en charge par les assurances (CSU ou autres sociétés d’assurances maladies nationales). 4. Une gestion basée sur les données (data driven) : Socle du Modèle
La centralisation des données générées par le réseau de prestation de soins se fera par un Observatoire National de la Santé. Dans ce système compliant, cet organe hébergé au ministère de la santé et de l’action sociale (MSAS) agrègera les données des 3 secteurs de la santé (préventif, curatif et ré-adaptatif) pour faciliter et orienter les prises de décisions, les réformes et la Gestion Axée sur les Résultats (GAR).
Ce modèle permettra la genèse d’outils tels que : Dossier Patient Unique (Interopérable entre tous les PHT), d’IA prédictives (Anticiper les épidémies ou les pénuries de médicaments) et le Blockchain (facilitant la traçabilité des médicaments). Cela rendra limpide la gouvernance sanitaire nationale, permettra de définir une politique de santé non ambiguë et qui ne subira pas le dicta des organismes internationaux. 5- Un cadre légal et règlementaire :
Pour encadrer le déploiement de ce modèle, un rapprochement avec les parlementaires notamment avec la commission santé de l’assemblée nationale du Sénégal est nécessaire afin d’adopter une loi-cadre sur la décentralisation sanitaire. 6- Un déploiement par phasage :
Le déploiement de ce modèle se fera par phasage avec 3 étapes dans l’élaboration :
- Phase pilote (2026-2030) : Zonage et déploiement de 3 premiers PHT .
- Phase secondaire (2030- 2035) : déployer 5 autres PHT.
- Phase tertiaire (2035- 2050) : à partir de l’année 2025 seront initiées les phases d’intégration et d’application nationale du modèle de Pôles Hospitaliers Territoriaux (PHT). Conclusion :
Ce modèle horizontal basé sur les Pôles Hospitaliers Territoriaux (PHT) incarne la vision Sénégal-2050. Par ce nouveau modèle, le système de santé de notre pays restaurera une équité dans l’accès aux soins, une valorisation des ressources locales, une optimisation des coûts grâce aux financements innovants.
Ce système résilient et inclusif n’excluant aucun sénégalais, positionnera le Sénégal comme un leader africain en santé durable, combinant souveraineté, innovation et équité. Ce sera le système de santé « d’un Sénégal souverain, juste et prospère dans une Afrique en progrès ». La souveraineté sanitaire est à notre porté faisons-en une réalité.
Le 19 juin 2025
Pr Moustapha Diedhiou
Enseignant-chercheur Maitre de conférences agrégé en Anesthésie-Réanimation Université Gaston Berger / Sénégal Membre École du parti DCAD-Pastef Contact : moustapha.diedhiou@ugb.edu.sn Tel : 00221784236633
Auteur: Pr Moustapha DIEDHIOU | Publié le: mardi 22 juillet 2025
Commentaires (3)
Les idées sont bonnes mais le problème que les universitaires ont souvent c'est qu'ils ne sont pas à jours par rapport à la réalité opérationnelle.
Des enseignants qui sont partout sauf dans les amphis. On préfère faire de la politique que de l'anesthésie pour cacher leur incompétence pratique. Malheureusement dans ce pays, bruit > compétence
Très bien dit.
Bonne continuation!
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