Xalam, DJ, prison, walkman… : Souleymane Faye en dix folles histoires
L’artiste, qui s’est «vraiment lancé dans la musique à 25 ans», a bouclé cette année 50 ans de carrière. Il prévoit de fêter le demi-siècle avec faste : un album en décembre, des concerts et des tournées entre le Sénégal, la France et le Canada. Mais avant, pour L’Observateur (jeudi 25 septembre 2025), le septuagénaire a ouvert l’album souvenirs de sa vie. À coups d’anecdotes aussi renversantes les unes que les autres.
1. Naissance d’un musicien
«J'ai arrêté mes études après l'obtention de mon certificat. Je m'ennuyais en classe. Les divisions étaient ma bête noire. Lorsque j'ai arrêté, j'ai intégré un atelier de menuiserie. Là-bas, il y avait un apprenti avec qui j'étais très ami. Dans le quartier où il habitait, il y avait une bande d'amis avec qui, on s'amusait à jouer de la guitare. C'est là-bas que j'ai attrapé le virus de la musique. Au début, je voulais être batteur, puis bassiste avant de commencer à déchiffrer les morceaux, à faire les chœurs et à chanter.»
2. Jeune homme à tout faire
«En 1973, j’ai commencé à fréquenter un orchestre qui faisait de la salsa. Il était composé de vrais professionnels. J'étais leur jeune-homme à tout faire, je portais leurs bagages, leur préparais du thé. Le soir, je dormais dans la salle de répétition, au milieu des instruments de musique. C'était à l'époque des Pape Fall, Labah Socé, Mar Seck. Au bout de quelque temps, j'ai commencé à faire les chœurs. Il fallait que je leur sois utile, pour vraiment apprendre à leurs côtés.»
3. Clandestin à Marseille, DJ…
«J’ai effectué un passage au Cap-Vert Orchestra, à Rufisque. Le gérant, un Libanais nommé Alias Bana, m'adorait et m'a pris comme son fils. Je dormais encore dans la salle de répétition, sur un matelas posé à même le sol. Ensuite, nous avons eu des contrats au Club Aldiana, puis au Cap Skirring. Nourri, logé, blanchi avec un bon salaire, je vivais déjà de la musique. Puis direction l'Espagne pour six mois. À la fin du contrat, mes camarades voulaient tenter la France clandestinement. Moi, j'ai choisi de voyager seul. À la frontière, après avoir aidé un policier à calmer une dispute avec un Espagnol, j'ai inventé l'histoire d'une épouse malade en France. Le policier m'a laissé passer. C'est comme ça que je suis arrivé en territoire français, sans papiers... J'ai ainsi débarqué à la gare de Marseille. Je suis allé au club Méditerranée pour chercher du travail. On m'a proposé un boulot en tant que DJ (disc-jockey). Je leur ai alors dit que j'étais DJ et chanteur à la fois. Ils m'ont vraiment cru. Seulement, je n'y connaissais rien et j'ai été accepté. Je suis allé dans un autre club en province pour apprendre à faire le disc-jockey. J'ai mis les bouchées doubles pour pouvoir y arriver. Une fois que c'était fait, j'ai fait 6 mois au club Méditerranée, avant de demander mon transfert dans un autre club affilié à eux.»
4. Maria
«J'ai été au Maroc dans un autre club qui s'appelait Agadir, en tant que chanteur. Sur place, j'ai trouvé un orchestre déjà formé et le chanteur principal devait aller faire son service militaire. J'ai alors commencé à répéter et à jouer avec eux. Six mois après, j'ai été envoyé en Yougoslavie, toujours en tant que DJ. Là-bas, j'ai rencontré un orchestre Italien qui faisait du Jazz. Quand leur saison s'est achevée, les musiciens devaient rentrer. C’est sur ces entrefaites que j'ai aussi fait la rencontre de Maria, une Italienne qui m'a proposé d'aller en Italie pour y travailler en Sardaigne. J'ai accepté sans problèmes. Maria et moi étions ensemble, nous habitions sous le même toit. Elle avait un ami qui se nommait Pino.»
5. Pino
«Un jour, j'ai voulu faire plaisir à Maria et j'ai décidé de préparer un plat sénégalais. Je me suis donc mis aux fourneaux. J'ai préparé une jolie table avec des bougies, une ambiance tamisée et de la bonne musique, en attendant qu'elle rentre. Quand elle est arrivée, Pino était avec elle et je ne m'y attendais pas. Le gars m'a apostrophé en me demandant quand est-ce qu'on mangeait. Je lui ai répondu que, je n'étais pas son serveur, qu'il n'avait qu'à se servir tout seul. J'étais sur les nerfs et je suis entré dans la chambre. Il m'a emboîté le pas, j'ai frappé la porte sur son visage. On s'est battu et les policiers sont arrivés. J'ai été menotté et conduit à la police. Heureusement, Maria est intervenue pour ne pas que Pino porte plainte contre moi. S'il l'avait fait, j'aurais été emprisonné.»
6. Cocu, prison
«Je me suis réconcilié ensuite avec Pino, et Maria et moi avons poursuivi notre relation. C'est lorsque j'ai commencé à parler Italien, que j'ai compris que les deux étaient amants. Les choses se sont alors envenimées. Nous nous sommes encore battus mais, cette fois-ci j'ai été embarqué manu-militari en prison à Rome. Après trois mois de détention, j'ai pu me payer un avocat qui a assuré ma défense et j'ai été libéré pour bonne conduite. J'ai pu bénéficier d'une remise de peine, alors que j'avais été condamné à 1 an ferme. C'est en travaillant dans l'enceinte de la prison que j'ai pu amasser de l'argent pour régler l'avocat. Je nettoyais les bureaux des officiers et vidais les poubelles. A ma sortie de prison, j'ai été conduit à l'ambassade du Sénégal pour les besoins de mon rapatriement. Les agents ont refusé de me payer un billet pour le retour. C'est finalement le ministère des Affaires étrangères en Italie qui m'a donné un billet d'avion pour que je rentre au bercail.»
7. Walkman
«Je suis rentré au Sénégal les mains vides, sans aucun bagage, ni sou en poche. Je n'ai rien dit aux membres de ma famille et eux pensaient que mes affaires allaient certainement arriver, des jours après. Je n'avais que 10 000 F CFA en poche grâce à mon walkman que j’ai vendu à mon arrivée à l'aéroport.»
8. Novotel, Maguèye Niang, Xalam
«À mon retour au Sénégal, je suis retourné à l'atelier de menuiserie, il appartenait à mon oncle. J’ai aussitôt recommencé à travailler. C’est par le biais d'un ami que j'ai su après, que le Novotel était à la recherche d'un chanteur. C'est comme ça que j'ai passé l'audition et j'ai été retenu. Je faisais des reprises de chansons américaines et j'y ajoutais une touche wolof. J'avais beaucoup de succès là-bas. C'est ainsi que j'ai été découvert par Maguèye Niang, le grand-frère de Prosper Niang du Xalam. Il m’a dit qu’il allait me présenter à ce dernier et qu’il fallait que j’intègre ce groupe mythique. Je n'étais pas trop chaud pour cette aventure mais, Prosper s'est déplacé pour venir me voir. Il a été séduit quand il m'a vu. Nous avons discuté et il m'a convaincu d'intégrer le groupe. J'ai passé deux ans au Xalam et nous avons sorti l'album «Doolé» qui avait cartonné. Comme, ils étaient établis en France, j'ai commencé à avoir le mal du pays. Surtout que mon épouse et mes enfants étaient restés au Sénégal. Alors qu'eux, leurs épouses étaient avec eux et ils y étaient bien établis, depuis 15 ans pratiquement. Nous avons fait un autre album «Ndigeul». Je percevais un salaire mensuel de 300 000 F CFA, comme j'avais convenu avec eux. Les 100 000 F CFA, je les utilisais pour mes besoins, j'épargnais 100 000 F CFA et j'envoyais le reste à ma famille au Sénégal.»
9. Canada-New York, la longue marche
«J'ai marché du Canada à New-York, sans argent, après une dispute avec mes collègues du Xalam. J'ai pris mes deux valises et ma guitare, je suis parti. En cours de route, j'ai été obligé de jeter mes valises remplies de vêtements. J'ai gardé un petit sac à dos avec des habits d'hiver, une paire de chaussures et ma guitare. J'ai confié mon destin à Dieu et j'ai pris l'autoroute tout droit. J'avais même jeté mon passeport parce que je ne voulais pas qu'on sache d'où je venais, ainsi que ma carte de séjour, et mes documents bancaires. J'ai marché pendant presque 5 jours, du Canada jusqu'à la frontière des États-Unis. En chemin, il y avait comme une sorte de voix qui me recommandait d'avancer sans me retourner. J'ai passé la frontière sans être vu par les policiers. Je n'avais pas de papiers. Je suis resté quatre jours sans manger. Pour me désaltérer, je buvais de l'eau de fonte. Je suis arrivé aux frontières américaines vers 21 heures et je me suis caché sous un camion. C'est comme ça que je suis entré aux Etats-Unis.»
10. «10 dollars, bonne chance»
«J'ai été appréhendé une fois aux Etats-Unis parce qu'en fait, j'avais été signalé par la police aux frontières du Canada. J'ai été auditionné puis libéré. Un des policiers m'a remis 10 dollars et m'a souhaité bonne chance. J'ai été interpellé une seconde fois puis relâché. J'ai tellement marché que je n'avais plus la force de porter ma guitare. Arrivé à l'angle d'une route, je l'ai déposée à un feu rouge et je suis parti. Un étudiant m'a pris en auto-stop. Il avait une décapotable rouge. J'étais tout sale. Ma chemise blanche était crasseuse. Chez lui, j'ai pris une douche et je me suis changé. Il m'a acheté un ticket de bus pour New York et m'a remis 100 dollars. J’ai passé trois mois à New York. Je logeais chez des Sénégalais qui m'ont prêté de l'argent pour que je me paie une guitare. Je sillonnais les métros américains avec ma guitare et je chantais. Je me faisais près de 200 dollars par jour. J'ai commencé à amasser de petites sommes que j'envoyais à mes proches au Sénégal. J'ai changé ma garde-robe. Et ce qui m'a le plus surpris, c'est qu'aux Etats-Unis, mieux tu es habillé, plus tu gagnes. Par la suite, j'ai fait appel aux gars du «Xalam» et Prosper est venu me chercher. J'ai retrouvé le groupe en France. Une fois à l'aéroport, j'ai passé le contrôle sans problème alors que je n'avais aucun papier. Je suis rentré après avoir enregistré l'album avec le groupe. De retour au Sénégal, j'ai commencé à me produire en solo. Je sortais un album chaque année.»
BONUS
«Xarit»
«C'est une chanson qui m'a beaucoup marqué car l'amitié est sacrée. Et c'est une chanson qui me rappelle toujours mon meilleur ami, aujourd'hui disparu, Sogui.»
Mariama
«La seule chose qui me fait mal, c'est que ma mère n'ait pas profité de mon succès. Elle est partie alors que je n'étais pas connu et que j'étais sans le sou. J'ai une fille qui porte son nom, Mariama, avec ma nouvelle épouse.»
À VJ et Cie
«La musique ne doit pas empêcher la jeune génération de poursuivre des études et d'avoir un métier. La musique ne nourrit pas son homme.»
Commentaires (7)
Purée je l’aime tellement. Que Dieu te garde, génie!
Une Vie bien remplie !! Amal diam père! We appreciate u
Bilay yaye ndàanane machalah
Que dieu vous garde
Jules, tu es le meilleur, longue vie à toi et en santé, et donne nous encore des frissons quand on entend cette voix qui vient de loin et nous pénètre au plus profond de nous.
Merci Souleymane
Une vie passionnante.
Souleymane FAYE est très talentueux. Il vit l'instant présent et se soucie peu de l'avenir.
Il est révolté.
C'est pour cela que sa carrière est si tumultueuse.
Unique et exceptionnel.
...c'est bien.
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