Repenser la parentalité en Afrique de l’Ouest : pourquoi soutenir les parents est une responsabilité partagée
À Ziguinchor, au Sénégal, une mère se lève avant l’aube pour préparer ses enfants à l’école, entre les tâches ménagères, une petite activité génératrice de revenus et l’inquiétude de ne pas pouvoir payer le loyer du mois prochain. À Abidjan, en Côte d’Ivoire, un père accepte un emploi précaire loin de sa famille, partagé entre le devoir de subvenir aux besoins des siens et le désir d’être présent. À Cotonou, au Bénin, une grand-mère s’occupe de ses plusieurs petits-enfants pendant que leurs parents travaillent. Partout en Afrique de l’Ouest, des millions de parents et de proches vivent ces réalités – entre stress financier, pression sociale et incertitude – souvent sans reconnaissance ni accompagnement adapté.
Être parent n’est pas un acte purement instinctif. C’est un rôle profondément façonné par les transformations neurobiologiques et émotionnelles qui surviennent lorsqu’on devient parent. Les travaux de la Fondation Van Leer sur le cerveau parental ont montré que cette période de réorganisation hormonale et émotionnelle rend les parents à la fois plus attentifs et plus vulnérables. La parentalité transforme les personnes et façonne de manière différenciée l’esprit et le corps. Ainsi, au-delà des défis du quotidien, les parents et accompagnants traversent également des changements émotionnels. Pourtant, peu de politiques publiques reconnaissent cette phase comme un moment qui appelle, lui aussi, au soin et à un soutien social structuré, partage Karima Grant, la représentante régionale Afrique à la Fondation. Selon Babacar Ndiaye, directeur de la recherche au think tank, WATHI, “la parentalité n’est pas seulement une affaire privée : c’est un bien commun, une responsabilité partagée qui devrait guider nos politiques publiques”.
Reconnaître cela, c’est comprendre que les parents et les accompagnants sont les premiers éducateurs et les ancrages émotionnels de nos sociétés. Ils façonnent, dès les premières années, les capacités que chaque enfant – et donc chaque futur.e citoyen.ne – mobilisera tout au long de sa vie. Or, en Afrique de l’Ouest francophone, leur bien-être demeure largement invisible dans les politiques sociales et les programmes publics. Cette invisibilité n’est pas neutre : elle fragilise durablement les familles et affaiblit les communautés.
L’étude exploratoire préliminaire menée par Busara Global au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Bénin – Caring for Caregivers – offre un premier regard régional sur la manière dont les parents perçoivent leur bien-être. Les résultats montrent que celui-ci ne se résume pas à la stabilité financière : il renvoie aussi à la sécurité émotionnelle, à l’autonomie et à la reconnaissance sociale. Beaucoup de parents disent se sentir isolés, épuisés et inquiets, pris entre des conditions économiques difficiles et des attentes sociales élevées. Ce qui a également été révélé, explique Shalmali Ghaisas, SeniorAssociate chez BusaraGlobal, c’est que “les parents définissent le bien-être non seulement en termes économiques, mais aussi à travers un sentiment d’équilibre émotionnel. Ils ont souligné que cet équilibre dépend largement de l’autonomie dont ils disposent, plutôt que de voir leur temps dicté par les exigences domestiques et les normes sociales.
Beaucoup ont exprimé le désir de reconnaissance et de partagedes responsabilités de la part de leurs conjoints et de leurs proches, mettant en lumière à quel point la charge mentale quotidienne peut être invisible et inégale.”
L’étude souligne également le rôle central de la foi et la confiance accordée aux représentants religieux comme sourcesde réconfort dans les situations de doute ou de difficultés financières. Mais cette dépendance peut parfois renforcer une forme de passivité, empêchant les parents d’agir ou de chercher des solutions. Ces constats révèlent à la fois la résilience et la vulnérabilité qui caractérisent la parentalité dans la région.
Malgré des avancées, le bien-être parental reste absent des agendas politiques. Lors de l’atelier de co-création organisé par la Fondation Van Leer à Dakar en octobre dernier, un constat s’est imposé : les décideurs institutionnels étaient absents. Les politiques publiques qui influencent directement le cadre de vie des familles se construisent souvent sans les parents, ni ceux qui les accompagnent au quotidien. Le problème est autant institutionnel que conceptuel : la « parentalité » est encore perçue comme une affaire morale ou domestique, alors qu’elle est au cœur de la cohésion et de la résilience sociales.
L’étude “Caring for Caregivers” constitue une première étape essentielle, mais la recherche doit se poursuivre et être soutenue. Il est crucial d’encourager des travaux profondément ancrés dans les réalités locales, afin d’éclairer les politiques publiques et d’adapter les interventions aux contextes de vie des populations, qu’elles soient urbaines, rurales ou déplacées à la suite de conflits, d’instabilité politique ou même de catastrophes naturelles.
Les échanges de Dakar ont permis de tracer plusieurs pistes d’action :
Soutenir les parents n’est ni un geste caritatif ni une faveur, c’est un investissement collectif dans le tissu social. Une société qui attend autant de ses parents doit, en retour, leur offrir les moyens de s’épanouir.
Investir dans le bien-être parental, c’est investir dans l’éducation, la santé et l’urbanisme, dans la manière dont nos villes, nos quartiers et nos espaces publics soutiennent la vie familiale et le développement des enfants.
Les données existent, les acteurs sont engagés : il s’agit désormais de transformer ces connaissances en actions adaptées aux contextes, soutenues par des partenariats durables et des politiques publiques cohérentes.
Il est temps de reconnaître la parentalité pour ce qu’elle est réellement : une responsabilité partagée et un sujet crucial, déterminant pour la stabilité, la force et l’humanité de nos sociétés.
A propos des auteur.e.s
Karima Grant est la Représentante régionale Afrique à la Fondation Van Leer, où elle soutient les initiatives visant à accompagner et valoriser le rôle des parents dans l’apprentissage et le développement des enfants sur le continent.
Babacar Ndiaye est le Directeur de la recherche au sein de WATHI (West Africa Think Tank), où il travaille sur les questions de gouvernance et de sécurité au Sénégal et en Afrique de l’Ouest.
Shalmali Ghaisas Senior Associate chez Busara Global. Elle dirige des projets dans les domaines de l’éducation et de la gestion des ressources naturelles, en co-concevant des solutions avec des enseignants, agriculteurs et accompagnants afin d’appliquer les sciences comportementales de manière concrète et ancrée dans la réalité.
Commentaires (1)
Et voilà! Il nous faut une ONG occidentale pour nous enseigner comment être des parents.
Soit l' africain est la personne la plus crédule au monde ou alors ces sous-ONG locales ne cherchent qu'à se remplir les poches.
L'Afrique est toujours mal partie.
Participer à la Discussion