Calendar icon
Wednesday 05 November, 2025
Weather icon
á Dakar
Close icon
Se connecter

D’OUSSOUYE A ELINKINE EN PASSANT PAR EDIOUNGOU : La Casamance dans son rythme naturel

Auteur: Safiètou KANE

image

Au détour d’une randonnée promotionnelle avec la compagnie Air Sénégal international, la Casamance s’est offerte à travers quelques traits de sa diversité légendaire. Malgré une instabilité chronique, le sud du Sénégal tient à vivre. En cette matinée du 16 juin, les premières pluies tombent sur le Cap Skirring, poumon touristique de la région. Sur le pied de découverte dès 9 heures, comme d’autres sont sur le pied de guerre depuis vingt sept ans, le groupe de journalistes et d’hôteliers brûle d’envie de dévorer des yeux les merveilles naturelles et artistiques d’Edioungou, d’Elinkine, en passant par le roi d’Oussouye, autorité sociale dont le rôle s’articule bien aux réalités des lieux.

Oussouye est distant de Cap Skirring d’une bonne trentaine de kilomètres. L’accès n’est pas difficile, la route ayant été retapée. Aux abords du pont de Katakalousse, des ouvriers s’affairent, comme insensibles à la chaleur étouffante. Après vingt kilomètres, un check-point. Les militaires qui contrôlent toutes les voitures passant par le village de Boutikindo, vérifient les papiers des occupants et du conducteur avant de les laisser partir. Dix km plus loin, voilà Oussouye, capitale départementale. Le directeur commercial des hôtels Hibiscus et domaine de la Palmeraie, M. Joseph Sambou Faure (voir ci-contre) sert de chauffeur et de guide en même temps. «Oussouye ne vit que pour une agriculture de substance. Les sociétés de pêche ferment parce qu’elles ne répondent pas aux normes européennes et n’ont pas les moyens d’y faire face. La Casamance ne respire que par le tourisme et les Organisations non gouvernementales (Ong). Ici nous sommes au rythme du Club Méd. On travaille six mois pour en vivre douze.»

Tout en faisant le tour de la place centrale pour rejoindre le chemin qui mène à Edioungou, Joe continue ses explications. «Quand j’étais jeune, je venais souvent ici, mais je peux vous assurer qu’il n’y a pas grand changement dans cette capitale départementale. Seuls trois ou quatre édifices ont été construits, depuis longtemps maintenant. Ce sont la perception municipale, le dispensaire, la mairie et le lycée. Il n’y a pas d’argent dans cette zone.» «Les Casamançais ont toujours cultivé pour manger, mais n’ont pas d’objectifs de vente. Nous essayons de booster l’économie en aidant le tourisme par la construction de pistes de production.» La préfecture que nous venons de dépasser ne donne pas une bonne image d’elle. Elle semble abandonnée à son sort.

EDIOUNGOU ET SES POTERIES

Quelques kilomètres plus loin, la voiture débouche sur une piste de production construite par les populations elles-mêmes, qu’elle dépasse sans crier gare avant de s’engouffrer sur une route étroite et sinueuse. A chaque secousse, les corps sont rudement secoués. Malheur aux articulations ! La route est en argile, une matière qui fait la fierté de ces villageois. Ils l’utilisent pour la poterie, une activité que les femmes développent durant les périodes d’après saison agricole. Tous les moyens sont bons pour arrondir les fins de mois. Des commandes viennent tant des hôtels de la place et de l’intérieur du pays que de l’Europe. Au début, ces femmes étaient dispersées, c’est avec l’arrivée des Ong qu’elles ont commencé à se regrouper pour donner une plus grande visibilité à leurs travaux. William Bassène, gérant et propriétaire d’un bar-restaurant leur prête son bâtiment dont une partie sert de salle d’exposition. On peut y retrouver des statues en bois, de la poterie en argile et même des Djembés.

Cet homme généreux pour ses co-habitants est originaire de ce village. Il a investi dans le tourisme en construisant un campement. Il aurait voulu «que la zone qu’il habite soit valorisée et mieux connue de tous, des Sénégalais comme des étrangers». Mais, se désole-t-il, les «affaires ne marchent pas comme il le faut et c’est avec mes propres moyens que je me bats». L’arrivée du vol hebdomadaire d’Air Sénégal International est une bouffée d’air frais pour William, mais il attend encore, car «la route doit être faite et le village est encore victime de l’enclavement». En attendant, il fait aussi dans la location du matériel de pêche, pour ceux qui veulent s’adonner à cette activité dans le bolong situé juste en face de son bar-restaurant. Notre guide de circonstance nous livre un petit cours d’hydrographie. «Les Bolongs dépendent du fleuve Casamance et créent des ramifications à partir desquelles on peut partir jusqu’à Dakar et l’île de Carabane. On peut faire le tour de la Casamance sans toucher terre. Le fleuve n’est pas un élément à réfectionner et on peut en profiter et l’ouverture qu’il offre, ouvre d’énormes perspectives à la région de Casaamane».

La mangrove est très présente dans cette zone. «Nous participons à sa sauvegarde par l’interdiction d’y toucher. Et on essaie aussi de la reconstituer. Mais elle recule du fait de la chaleur et de la sécheresse. Nous subissons de plein fouet le réchauffement climatique. Nous n’avons eu notre première pluie qu’hier», explique toujours le guide.

Le temps de prendre congé de William Bassène et de la poterie, un arrêt s’impose. Nous sommes chez Judith Cissé. Elle travaille dans une Ong dénommée Association sénégalaise pour le développement intégré (Asdi) dont l’objectif est de «soutenir l’intégration des femmes dans le maraîchage et de faire intervenir les bailleurs de fonds dans cette zone». L’Ong encadre les femmes pour leur alléger les travaux domestiques en les aidant dans les techniques d’artisanat et d’élevage. «Nous avons remarqué, au début, l’insuffisance alimentaire dont souffraient les enfants. Une malnutrition quasi présente dans toutes les familles. Nous avons incité les femmes à cultiver et à récolter des légumes. Et le surplus est vendu sur le marché.» C’est ce qui leur a permis «de créer une banque mutuelle à Oussouye. Pour la poterie, nous avons des partenaires allemands et français. Avant, la poterie partait pour la France avec l’aide de l’armée française à bord des avions militaires, mais avec la guerre en Casamance, et pour des raisons de sécurité, il a été mis fin à ce procédé qui nous arrangeait tant».

A Edioungou, les gens se sont mis au rythme du Tabanani depuis longtemps. C’est avec cette plante qu’ils clôturent les concessions. Les graines servent à soigner et à désinfecter les plaies et la plante elle-même est utilisée comme bougie. «Nous l’utilisions pour nous éclairer et étudier nos leçons quand nous étions plus jeunes», avoue dans un grand sourire Mme Cissé, avant de prendre congé de ses visiteurs. Direction : chez le roi d’Oussouye.

LE ROI AUX JOURNALISTES : «SOYEZ OBJECTIFS EN INFORMANT»

«Oussouye c’est l’autorité traditionnelle avec le roi qui est un élément fédérateur», explique Joe à la délégation, les mains collées sur le volant de la voiture qui s’arrête à peine cinq minutes après, aux abords d’un trottoir sur lequel des ouvriers font le ménage. Impossible de voir le roi tout de suite. Il faut annoncer les visiteurs. Un monsieur s’avance vers le petit groupe qui vient d’arriver et intime l’ordre d’attendre. Il s’en va prévenir le roi. Une courte attente et le voilà qui revient, presque à vive allure, faisant un signe de la main. Traduction : le roi accepte de nous recevoir. Pas dans sa cour, ni dans sa concession, mais dans l’allée qui y mène. Deux troncs d’arbres recouverts de toile bleue servent de chaises aux visiteurs, à l’ombre des arbres qui forment un toit au-dessus des têtes. Devant la porte de la demeure, des enfants tissent la paille pour le roi. Ils lui doivent bien cette petite corvée, ces orphelins qu’il a recueillis par générosité. Juste le temps de s’asseoir et voilà Sibuloumbaï Diédhiou qui s’avance d’un pas décidé vers ses invités, pieds nus. Il est devancé par un homme qui dépose deux petits tabourets en bois ; sur l’un, le roi prend place. Il porte un manteau rouge et un long bonnet de même couleur. En dessous du manteau, apparaît un habit peint en indigo avec une broderie dorée autour du cou et qui descend à hauteur de la poitrine. Le roi Sibuloumbaï tient un balai dans ses mains. Il n’a ni valets ni gardes du corps, mais est accompagné par son oncle, François Diedhiou. Ce dernier prend la parole. «Le roi a été intronisé en 2001. Il intervient socialement et aide son peuple dans la discrétion. Il ne va pas aux champs. Mais partage tout avec la population. On refuse que les gens mendient, ici, parce que cela leur fait perdre leur dignité.»

L’oncle essaie d’expliquer le sens de la nomination du roi dans cette contrée. «Dieu est seul avec les esprits qui sont ses intermédiaires, alors il faut matérialiser l’esprit qui va intercéder auprès de Dieu en faisant des offrandes. Le roi d’Oussouye détient la puissance la plus importante de la zone. Il est vénéré. Après Dieu et les esprits, c’est lui le chef suprême. Il est un chef religieux et veille à ce que les dogmes religieux soient respectés, de même que les droits de l’homme. Personne n’a le droit de commettre un crime.» Tout fautif reconnu comme tel doit se confesser en public et doit donner tout ce qu’on lui demande pour que la faute lui soit pardonnée. Sinon, il subira le malheur et toute sa famille sera concernée. «Le roi veille à ce qu’il y ait la paix entre les villages. Il arrive que deux villages soient sur le point de s’affronter. Dés qu’il arrive, il lève son balai et les esprits se calment. Même entre deux personnes, on n’a pas connu de tapage. Même les maquisards de la zone ont déposé les armes. Vous pouvez vous promener dans la zone à n’importe quelle heure de la nuit et vous ne serez pas inquiétés», soutient-il la main sur le cœur.

En parlant de paix, pour ce qui concerne le confit casamançais, François Diedhiou explique que «c’est difficile d’aller dans le maquis mais le roi a toujours envoyé des messages. En 2003, il a fait venir Diamacoune et lui a demandé, dans les négociations avec le gouvernement, d’essayer de trouver des compromis et de ne pas chercher à s’imposer». Pendant tout le temps que parle son oncle, le roi lève à peine la tête. «Le roi veille à ce que les gens ne meurent pas de faim. Il y a les rizières royales et c’est lui qui s’occupe des gens qui y travaillent en leur donnant à manger et même à fumer quand ils le veulent. La production récoltée sert à nourrir la population sans distinction de race et d’ethnie. C’est pour cela qu’il n’y a pas de mendiants ici.» Le roi d’Oussouye «interdit formellement l’usurpation de biens d’autrui. Ici on ne vole pas. Vous pouvez partir et laissez votre porte ouverte, vous ne serez pas inquiété». A 54 ans, Sibuloumbaï Diédhiou, dont le nom signifie en langue diola «d’où ça vient», se veut apolitique «parce qu’il doit gérer les populations et ne peut pas prendre de position. Il ne vote pas et n’exprime même pas son opinion par rapport à la politique», selon l’oncle, toujours debout, en véritable sherpa de son neveu.

LES FEMMES DANS LES STRATEGIES DE GUERRE

Au moment où tout le monde se demande si le roi va parler, il prend justement la parole, un mince sourire au coin, et levant de temps en temps les yeux sur ses invités. En quelques mots, il demande aux journalistes, après les salutations d’usage, «d’être objectifs en informant, et d’aller en paix». Juste avant de faire une photo de famille, de serrer les mains. Il s’en retourne déjà dans sa demeure.

Après avoir pris congé du roi, nous faisons cap sur les berges de Katalousse. Une pirogue attend, pour l’étape du village d’Elinkine. A côté, et sur une autre pirogue, des habitants d’un village voisin embarquent pour aller enterrer un des leurs. Le silence de mort qui règne sur les lieux est perturbé par des journalistes bavards et inattentifs qui ne prêteront attention à la dépouille qu’au moment de son transfert dans l’embarcation. Sur le fleuve relativement calme, les deux pirogues se suivent presque. Mais le soleil, lui, tape dur sur les têtes, obligeant certains à utiliser leur gilet comme moyen de couverture contre des rayons sans pitié. Un vent fort souffle sans arrêt autour d’un paysage tout en mangrove. Nous sommes à «20 minutes au moins» de navigation. Mais un grand détour est nécessaire pour éviter les bancs de sable. On dépasse Eidj, le village des féticheurs. Là, explique Joe, «les habitants n’enterrent pas leurs morts sur place, ils ont un îlot qui leur sert de cimetière. Et les gens ne se marient pas entre eux. Dans le temps, c’était par stratégie. Cela leur permettait de collecter des renseignements sur d’autres villages en cas de conflits, par l’intermédiaire de leurs sœurs mariées dans ces villages-là». Eidj est vite dépassé. Quelques minutes de navigation et nous tombons sur une opération de la marine nationale en train d’arraisonner une embarcation ayant à son bord de jeunes «clandestins» en route vers la Méditerranée. Les soldats de la mer débarquent des bidons d’essence stockées pour le voyage et retirent aux occupants de la pirogue leurs papiers d’identification… Notre destination est toute proche. Un grand baobab majestueusement droit étale ses branches qui donnent de l’ombre aux vendeurs établis sur une plage qui abrite un puits. On monte la pente qui mène vers les habitations. Ici, tout étranger peut visiter la case impluvium qui sert à recueillir l’eau de pluie, laquelle sera utilisée plus tard pour faire la cuisine. C’est la toiture qui sert d’entonnoir. Petit village de pêcheurs, Elinkine accueille des gandiol-gandiol, guet-ndariens, et même des ressortissants du Ghana… Notre retour se fera sans escale.

 

Auteur: Safiètou KANE
Publié le: Vendredi 03 Août 2007

Commentaires (0)

Participer à la Discussion

Articles Tendances