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Triste répétition?! Au seuil de chaque Nouvel An, la même ritournelle?! Des socialistes aux républicains, en passant par les libéraux, chaque fin d’année est l’occasion pour l’État, de concocter son budget. Puis, sa taille, son poids et ses moindres facettes sont pompeusement sublimés par les thuriféraires du pouvoir en place, devant un peuple plus que jamais assoiffé de mieux-être. Budget qui passera comme lettre à la poste à l’Assemblée nationale et exécuté par les tenants du pouvoir. Le pauvre contribuable, quant à lui, sans ménagement, sera imposé et tondu pour financer ce même budget. Mais à quoi ont servi réellement ces budgets??
30.000 milliards en 15 ans
Durant ces 15 dernières années, environ 30 000 milliards de francs CFA de budgets ont été votés et exécutés. Soit, 56 milliards de dollars de 2001 à 2015 (résultat obtenu après addition des budgets des lois de finances publiées sur le site du ministère des Finances). Mais, où est bien passée toute cette manne financière?? Qu’est ce que nos gouvernants ont bien pu faire, tour à tour, de ces milliers de milliards de francs CFA durant leurs mandats?? Les ont-ils bien utilisés?? Ont-ils réussi à nous sortir de l’ornière avec?? L’utilisation de ces précieuses ressources du contribuable a-t-elle changé la vie des Sénégalais ou créé les conditions favorables à un mieux-être des populations?? La réponse est amèrement négative. De l’indépendance à nos jours, les dizaines d’années d’exercice budgétaire n’ont pas donné les fruits escomptés. Pis, de 1960 à nos jours, plus de la majorité des ruraux et des citadins se débattent, dans une foultitude de difficultés. L’espoir, sans cesse réveillé dans le cœur du citoyen, à chaque marathon budgétaire par des politiciens futés, s’essouffle au rythme des nombreuses difficultés qui émaillent le quotidien des Sénégalais.
Plus habiles à conquérir le pouvoir qu’à traiter les maux
Aujourd’hui, plus qu’hier, les populations se débattent dans leurs souffrances interminables que les 40 années de pouvoir des socialistes, les 12 ans des libéraux et les trois années des républicains n’ont pu résoudre. Les gouvernants sont plus habiles à conquérir le pouvoir et ses avantages qu’à traiter efficacement les plaies des populations. La pauvreté, toujours aussi poignante, frappe 46.7 % de la population. Soit près d’un sénégalais sur deux. Le chômage, quant à lui, culmine à 13.4 %, révèle l’Ansd dans son rapport 2015. L’électricité, malgré les sommes faramineuses englouties par la Senelec, est encore chère et reste un rêve pour près de 70 % de la population nationale. Aujourd’hui, en 2015, des centaines de milliers de ruraux vivent encore dans le noir, en plus de ne pas avoir accès à de nombreux services sociaux de base. « Aujourd’hui seuls 33 % des millions de Sénégalais ont un accès à l’électricité avec un taux de couverture disparate de 57 % en zone urbaine et 10 en zone rurale », renseigne tristement la commission de régulation du secteur de l’électricité.
Côté santé, le bilan n’est pas des plus reluisants. Bien qu’un travail ait été fait dans la construction d’établissements de santé qui se chiffrent à 3 084, dont 86 hôpitaux, 242 centres de santé, 1250 postes de santé, « le Sénégal n’a pas encore atteint les normes préconisées par l’Organisation mondiale de la Santé », renseignait l’Ansd dans le rapport de son Enquête démographique et de santé continue 2014. Le plateau technique, toujours à un niveau des plus bas, freine l’accès démocratique à de meilleurs soins. Dans les zones rurales, le nombre de femmes qui meurent en donnant naissance émeut par son niveau élevé. Dans certaines contrées, l’inexistence d’établissement de santé ou d’ambulances condamne les femmes enceintes à une triste mort au cours de leur transfèrement à dos d’âne, de cheval ou sur charrette. Le taux de mortalité infant juvénile, lui aussi élevé, est de 65 ‰ entre 2012-2013.
Dans le secteur de l’éducation, les crises répétitives qui émaillent les années scolaires ont fini de faire de l’école sénégalaise une fournaise qui fait fondre la qualité de l’enseignement public. Les plus pauvres assistent impuissants à l’assombrissement de l’avenir de leurs enfants, compromis par les nombreuses grèves. Au même moment, les autorités et les plus riches confient l’éducation de leurs progénitures à l’enseignement privé ou occidental.
Échecs des politiques économiques
Sur le plan purement économique, les milliers de milliards n’auront pas même servi à atteindre un taux de croissance respectable, réductrice de pauvreté. Des indépendances à nos jours, le sénégalais n’aura jamais connu un taux de croissance à deux chiffres, ou à un taux capable de réduire sensiblement la pauvreté. Les autorités n’ayant jamais pu créer les conditions d’un environnement économique performant propice à l’investissement et à entrepreneuriat, malgré les milliers de milliards mis à leur disposition par le contribuable. Le tourisme, les autorités n’ont aussi jamais pu le réveiller de son profond sommeil. L’industrie, pareillement. Et pour tout clore, le FMI classe le Sénégal parmi les 25 pays les plus pauvres sur terre. Un réveil brutal?!
Et pourtant, Jean Paul Dias ne semble pas être dérangé par un tel classement, qui révèle le niveau de souffrance des populations : « 25e c’est le premier des pauvres. On est le premier des pauvres. C’est à dire, après nous il y en a d’autres. D’abord à l’intérieur du FMI certains ont remis en cause ces chiffres. Et ces chiffres sont estimés en dollar. Il suffit que le dollar monte ou descende pour que vous sortiez du classement. Personnellement je conteste ce classement (…). Et puis, qu’est ce que ça peut faire qu’on dise qu’on est les premiers des pauvres. Nous notre réponse elle n’est pas celle des techniciens, elle est celle des hommes politiques. Au Sénégal, le bétail ne meurt pas de faim, les citoyens ne meurent pas de faim, vous n’avez jamais vu des avions nous parachuter des vivres, alors qu’est-ce que ça peut nous faire qu’on dise qu’on est pauvre. Moi je le prends comme une sorte d’alerte, vous devez faire mieux », estime l’ancien ministre de Wade, aujourd’hui membre de la mouvance présidentielle.
Comment ont-ils bien pu dépenser tous ces budgets sans grand impact??
Et la question qui s’impose aujourd’hui, c’est pourquoi ces dizaines d’années d’exercice budgétaire, avec des milliers de milliards dépensés, n’ont pas offert un mieux-être aux populations?? « De l’indépendance à nos jours de 19 milliards à aujourd’hui 3000 milliards, en passant par 400 milliards durant le régime d’Abdou Diouf, à 2400 milliards à la fin du règne de Me Abdoulaye Wade, toute cette masse d’argent n’a pas été perdue. Seulement, il y a de bonnes et de mauvaises politiques », estime l’économiste Maissa Babou. Car explique-t-il, le budget est pour l’État, le principal levier de sa politique et de sa vision. Mais, seule la mise en œuvre de bonnes idées peut impacter la vie des populations. Et une politique de développement, qui puisse impacter la vie des citoyens, doit être articulée autour de quelques fondamentaux : « Le 1er est un niveau d’investissement dans la construction de structures capables de porter le pays et l’économie. Des routes, des ponts, des écoles, des forages, des hôpitaux, des infrastructures nécessaires au développement des citoyens. Au 2e niveau, mettre en place une politique administrative, fiscale, un cadre pour permettre à n’importe quel acteur économique de se mouvoir sur un terrain qui n’est pas glissant. Au 3e niveau, l’État doit aider les populations au niveau de la consommation. Tu travailles, tu perçois, tu payes ta location, tes factures, après tu es pauvre. Et là, l’État doit aider. S’il le faut, en subventionnant. Ce que la Banque mondiale interdit aujourd’hui », explique M. Babou. Aussi, il est temps, pour l’État, de développer une politique envers le citoyen, le mettre au cœur de sa politique.
« Gaspillage dans des dépenses de prestige »
Mais, le budget du Sénégal va-t-il véritablement, ou totalement, vers le citoyen?? Déjà, la mauvaise répartition des ressources prive plusieurs socles de notre économie, comme l’agriculture, la pêche, l’élevage ou le tourisme, d’investissements massifs. Le gaspillage et les dépenses de prestige, tant décriés notamment sous Wade, répondent éloquemment à cette interrogation. « C’est essentiellement un budget de fonctionnement, et ce sont des charges pour les ministres pour l’État tel qu’un gouvernement pléthorique qui dilapide les deniers publics, alors qu’il y a des urgences dans ce pays (...). L’électricité, tout le monde l’a constaté, malgré toutes les promesses qui ont été faites, ils n’ont pas pris la mesure de l’urgence de régler ce problème. Les inondations, la pauvreté qui règne un peu partout. Je crois que c’est là où il fallait mettre les priorités. On a beaucoup de gaspillage dans les dépenses de prestige inutiles qui n’apportent rien à l’économie ni à la société », avait fustigé en 2011 Demba Moussa Dembélé, en analysant le budget 2012. Maissa Babou, ne tient pas un langage contraire : « Le politicien n’est plus cet être rationnel. Il a une pensée politique, il réfléchit politique. Il a des intérêts qu’il met en avant. Des intérêts de groupe qui ne profitent pas aux populations. Par exemple, il a un ami à qui il doit donner le port il le lui donne quel qu’en soit le prix. Et ça rabaisse la vision. Il oublie l’essentiel pour détourner les moyens dans des festins, des augmentations de salaires et de dépenses de fonctionnement », se désole-t-il.
En effet, le budget subit chaque année la tyrannie du fonctionnement, qui engloutit une bonne partie du budget. Ce, au détriment de l’investissement. « Souvent, le 1/3 du budget va dans le fonctionnement. Dans des ministères on parle de centaines de milliards dans le fonctionnement alors qu’il y a des forages qu’il faut réaliser, un hôpital qu’on doit réaliser. J’ai entendu dire que pour ce budget 2016 sur les 3022 milliards il y aura 1040 milliards destinés au fonctionnement », regrette notre économiste. En effet, de 1960 à nos jours, que d’augmentations du nombre de députés. Que de hausses du nombre de ministres, que d’augmentations de leurs salaires, de leurs avantages et autres. Ce, au moment où les populations décrient la vie chère, la hausse des prix, la cherté des factures d’électricité et d’eau, le manque de médecins, de professeurs, de maitres d’école, etc. Les budgets de la Présidence, des agences budgétivores sous Wade, les missions dorées inutiles et parfois illégales tant décriées par l’Ige, les vols et pillages dans les marchés publics, asphyxient le budget au point que seules quelques gouttelettes de ces ressources partent dans la résolution des problèmes des citoyens. D’où l’inefficacité de l’action publique.
Politiciens subitement riches, citoyens durablement pauvres
« Mon problème avec les institutions financières internationales comme la Banque mondiale c’est qu’ils laissent nos gouvernements augmenter le nombre de ministres et de députés, augmenter les salaires de ces gens, leur donner toutes sortes de privilèges au point de bouffer la moitié du budget, ils ne disent rien. Mais quand maintenant ça devient dur, ils leur demandent d’aller augmenter le prix de l’eau, de l’électricité, d’annuler des subventions aux lycées, réduire les bourses des étudiants, etc. C’est le peuple qui trinque. La bonne gouvernance serait de mettre le budget au profit du citoyen. Il ne faut pas laisser ces gourmands de politiciens nous voler nos maigres ressources. On n’a pas de ressources aussi fournies pour qu’à chaque fois que quelqu’un a un poste, au bout de 2 ans, se tape une maison de 60 à 100 millions », dénonce Maissa Babou.
Aujourd’hui, 55 années après l’indépendance, le classement du fonds monétaire international, qui place notre pays parmi les 25 pays les plus pauvres du monde, retentit comme un cinglant rappel à l’ordre. Les ressources que l’État rassemble, aussi petites qu’elles soient, doivent désormais être gérées de façon rigoureuse. Dépensées dans des politiques sérieusement ficelées, ne visant que l’amélioration des conditions de vie des populations, avec des objectifs et les modalités de mise en œuvre claires. Fermer le robinet des gaspillages et tordre le cou à la prévarication de nos ressources.
De 1960 à nos jours, le budget du Sénégal a cru de 19 milliards de CFA à 3022 milliards de Cfa. 2016 marquera-t-il la fin de la dilapidation des ressources du contribuable pour ouvrir enfin l’ère d’une utilisation efficace, saine et rigoureuse du budget?? Seul l’avenir le dira aux pauvres contribuables.
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