Dans plusieurs économies africaines, les performances macroéconomiques récentes traduisent des rythmes de croissance soutenus sans pour autant s’accompagner d’une dynamique équivalente sur le marché du travail. Le Produit Intérieur Brut (PIB) progresse, atteignant parfois des sommets supérieurs à 5 %, tandis que l’emploi formel stagne. Cette divergence alimente un sentiment de « déconnexion entre les discours économiques et l’expérience quotidienne des populations », rendant l'indicateur de croissance incapable de rendre compte, à lui seul, du bien-être collectif.

L’une des explications majeures de ce paradoxe réside dans la structure sectorielle de l’expansion économique. Les moteurs de la croissance sont souvent concentrés dans des activités à forte intensité de capital, telles que les industries extractives, les télécommunications ou les grands projets d’infrastructures. Ces secteurs génèrent une valeur ajoutée élevée mais « mobilisent relativement peu de main-d’œuvre sur la durée », limitant ainsi leur impact social réel malgré leur poids grandissant dans l'économie nationale.

La transformation technologique accentue cette tendance. Si l’automatisation et la modernisation améliorent l’efficacité des entreprises, elles réduisent paradoxalement la demande de travail peu qualifié. Dans un contexte de forte poussée démographique, où des millions de jeunes arrivent chaque année sur le marché, ce décalage crée une pression sociale croissante. Le constat est sans appel : l’économie progresse sans pour autant « absorber pleinement sa main-d’œuvre disponible ».

Le secteur informel, bien qu'il joue un rôle d’amortisseur, agit également comme un « révélateur de cette croissance sans emploi ». Une grande partie de la population active survit grâce à des activités à faible productivité et à revenus instables. Si ces emplois atténuent le chômage de masse, ils ne permettent ni l'élargissement de la base fiscale ni l'accès à une protection sociale solide. La richesse produite ne se traduit donc pas par une amélioration proportionnelle de la qualité de vie des travailleurs.

Les politiques publiques peinent à corriger cette dissociation. Les stratégies de développement privilégient souvent l’attraction d’investissements lourds au détriment d'objectifs explicites de création d'emplois. Par ailleurs, l’inadéquation entre les systèmes de formation et les besoins réels des secteurs porteurs freine l’impact de la croissance. La dimension territoriale renforce ces déséquilibres, car les pôles d'activité se concentrent dans quelques zones urbaines, laissant de vastes régions « en marge des dynamiques productives ».

Face à ces constats, le débat se déplace progressivement vers la « qualité de la croissance » plutôt que vers son seul rythme. L’enjeu consiste désormais à favoriser des secteurs plus intensifs en emploi, à soutenir les petites et moyennes entreprises (PME) et à renforcer les liens entre productivité et inclusion sociale. Repenser les priorités économiques est impératif pour que l’expansion se traduise réellement par des perspectives professionnelles et une réduction durable de la pauvreté.