La façade et l’ombre : L’autre visage des finances publiques
Les finances publiques se lisent souvent à travers des tableaux impeccablement ordonnés, où la dette souveraine s’affiche en pourcentage du produit intérieur brut et où les trajectoires budgétaires semblent sous contrôle. Pourtant, derrière cette façade comptable, une autre réalité s’étend dans l’ombre. Celle des entreprises publiques, ces entités à mi‑chemin entre l’État stratège et l’acteur économique, dont les fragilités financières ne figurent pas toujours dans les statistiques officielles, mais pèsent lourdement sur l’équilibre collectif.
Dans de nombreux pays, les entreprises publiques jouent un rôle central dans l’énergie, les transports, l’eau ou les télécommunications. Leur mission dépasse souvent la simple recherche de rentabilité. Tarifs administrés, obligations de service universel, investissements dictés par des impératifs politiques plutôt qu’économiques. Cette combinaison crée un terrain propice à l’accumulation de pertes, d’arriérés de paiement et de besoins de trésorerie chroniques. Tant que ces difficultés restent contenues dans les bilans de ces sociétés, elles demeurent peu visibles pour le grand public et parfois même pour les marchés.
Le problème surgit lorsque ces fragilités cessent d’être théoriques. Une entreprise publique qui ne peut plus honorer ses dettes, payer ses fournisseurs ou investir dans la maintenance de ses infrastructures finit rarement par disparaître. L’État intervient, par des garanties appelées en urgence, des recapitalisations discrètes ou la reprise pure et simple des dettes. Ces opérations ne sont pas toujours comptabilisées comme de la dette publique au moment où les risques se forment, ce qui crée une zone grise comptable. Elles se matérialisent brutalement lorsque la situation devient intenable, révélant un risque systémique pour l’ensemble des finances publiques.
Les institutions internationales décrivent cette zone grise comme l’un des principaux angles morts de la soutenabilité budgétaire. Le Fonds monétaire international souligne que les passifs contingents liés aux entreprises publiques peuvent représenter plusieurs points de produit intérieur brut, sans apparaître dans les indicateurs traditionnels. La Banque mondiale insiste sur le fait que l’opacité de certaines relations financières entre l’État et ses entreprises brouille l’évaluation réelle des finances publiques et complique la prévention des crises. Cette opacité fragilise aussi la crédibilité internationale, car la confiance des bailleurs et des marchés repose sur la transparence statistique.
Cette dette cachée n’est pas seulement une affaire de comptabilité. Elle façonne des choix politiques et économiques. Lorsqu’un gouvernement sait qu’il devra tôt ou tard secourir une entreprise stratégique, il dispose de moins de marges pour financer l’éducation, la santé ou la transition énergétique. Elle alimente aussi une forme d’irresponsabilité silencieuse, où les dirigeants d’entreprises publiques peuvent différer les ajustements nécessaires en comptant sur un soutien implicite du Trésor.
Rendre visible cette réalité suppose un effort de transparence et de rigueur. Plusieurs pays ont commencé à consolider les comptes des entreprises publiques avec ceux de l’État, ou à publier des rapports détaillés sur les risques budgétaires. Ces pratiques permettent de mieux anticiper les tensions futures et de restaurer la crédibilité des politiques financières. Elles rappellent surtout une évidence souvent négligée : la solidité des finances publiques ne se mesure pas uniquement à ce qui est écrit noir sur blanc dans les lois de finances, mais aussi à ce qui se dissimule dans les marges des bilans.
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