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Ousmane Sonko : «A la DGID, les critères de nomination sont politiques»

Auteur: Babacar Guèye DIOP

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L’Inspecteur principal des impôts et domaines, devenu depuis un an, président du parti Patriote du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef-les Patriotes) jette un regard critique dans la manière dont l’administration fiscale est gouvernée depuis quelques temps. De passage à la rédaction du Quotidien, M. Ousmane Sonko, par ailleurs, secrétaire général honoraire du Syndicat des agents des impôts et domaines, a affirmé que l’Administration fiscale peut dépasser l’objectif de 1000 milliards qui lui est assigné, mais à condition que le fonctionnement soit revu.

Récemment le nouveau Directeur général des impôts et domaines s’est fixé comme objectif pour 2015 d’avoir environ 1000 milliards de recettes. A votre avis, cela est-il possible ? 

La Direction générale des impôts et domaines fait aujourd’hui à peu près 75% des recettes. Je crois qu’il a repris l’objectif qui nous est assigné par la loi de finances de cette année. Ce n’est pas son invention. Il ne fait pas preuve de zèle. C’est l’objectif qui est assigné à la Dgid par la loi de finances. J’ai toujours dit que la Dgid, si elle est bien orientée en n’y mêlant pas la politique, parce que depuis quelques temps malheureusement, nous avons l’incursion de la politique dans la Dgid. Or, le Code de transparence de l’Uemoa a formellement exigé que les administrations financières, c’est-à-dire la Douane, le Trésor, les Impôts échappent aux contingences politiques et politiciennes. Mais, nous nous rendons compte que depuis quelques temps, les seuls critères de promotion et de nomination à la Dgid sont politiques. Alors, je dis que si on met la politique en dehors du travail et du fonctionnement de ces administrations, si on nomme les hommes qu’il faut et que l’Etat mette les moyens nécessaires, nous avons la capacité de 3000 ou 4000 milliards. Nous avons une organisation structurelle qui ne répond pas à une administration de performance. A la Dgid, nous avons des compétences. Une compétence en matière fiscale et une compétence en matière foncière. C’est pourquoi on retrouve les impôts et les domaines. En matière foncière, c’est le domaine et le Cadastre qui sont à la Direction générale des impôts et domaines. Moi j’ai toujours dit qu’on ne peut pas mêler les deux. Il faut avoir une ligne traçable. Or depuis quelques temps, on a abouti à des réformes où on donne à une même autorité, à un même directeur des compétences foncières, cadastrales et fiscales. Malheureusement, avec le dévoiement et certaines pratiques, nous nous retrouvons avec beaucoup de directeurs qui s’occupent plus des questions foncières, puisque vous connaissez les enjeux qu’il y a dans la terre plutôt que le travail et à l’élargissement de l’assiette. Et on ne peut pas travailler comme ça. C’est pour dire que c’est un ensemble de choses qu’il faut mettre en branle. Mais fondamentalement, je considère que la Dgid n’a pas atteint le dixième de sa capacité. Nous pouvons atteindre plus de 1000 milliards. Mais pas en fonctionnant comme nous le faisons actuellement.
Mais d’où viennent ces problèmes politiques ou politiciens. A quel niveau, ils se situent ?
Je ne vais pas personnaliser le débat. Mais, il y a des gens, des autorités, qui ont compris l’enjeu malheureusement, dans le mauvais sens que pouvait constituer la Dgid, en termes de pouvoir d’influence ou de pouvoir de pression. Vous savez, quand vous détenez les impôts et la terre, vous avez presque le pouvoir réel. Et ces autorités ne veulent pas lâcher. Certains ont été des autorités de la Dgid. Ils ne le sont plus, même si elles incarnent la tutelle, mais ne voudraient surtout pas lâcher. On aboutit après malheureusement à un dévoiement des missions de la Dgid, quelquefois au service d’un homme ou d’un groupe d’hommes. Et c’est ce combat-là qui est mené. Vous voyez de temps en temps les sorties du syndicat en réalité. C’est pour dire non ou pour dire halte à ce genre de comportement-là. C’est ça qui justifie que tous les actes qui sont posés depuis quelques années, vont dans le cadre des desseins d’un groupe d’hommes. Nous pensons qu’il est temps que ces pratiques cessent pour le grand bien du Sénégal, indépendamment du fait de notre position politique. Nous sommes un parti d’opposition radical. Nous l’assumons. Nous sommes radicalement opposés au régime de Macky Sall et à tous ces vieux politiciens. Mais, sur ces questions, je ne parle pas en tant que politicien, mais en tant que citoyen et patriote. Si la Dgid gagne 3000 milliards de recettes ; c’est pour le grand bénéfice de Macky Sall, qui en a besoin. Ce n’est pas pour moi. Donc, quand nous prenons des positions sur ces questions-là, nous sommes loin du terrain politique.
En tant que Secrétaire général honoraire de votre syndicat, est ce que vous avez fait des démarches pour attirer l’attention du Président Macky Sall ?
Je ne peux pas parler au nom totalement du syndicat. Car, je n’en suis que le Sg honoraire. Mais, je peux vous dire que le syndicat mène ce combat-là en sourdine. Réguliè­rement, des courriers sont adressés à la plus haute autorité. Je ne sais pas s’il les reçoit. Je pense que la semaine dernière, un courrier a été adressé au Premier ministre pour attirer son attention (l’entretien a eu lieu dimanche dernier : ndlr) sur un projet de réforme de structures qui n’est pas bon du tout. Qui risque d’être la goutte de trop. Maintenant, c’est ce que le syndicat peut faire en attendant. Sur les nominations, vous savez, elles sont trop complexes, le syndicat a très tôt travaillé pour définir un plan de carrière à la Dgid. Comme le dit la Constitution, il y a des emplois qui sont à la discrétion du président de la République. Et dans une administration comme la Dgid, c’est les directeurs, le coordonnateur et le directeur général. Nous ne pouvons pas lui contester ses choix, parce que la Consti­tution lui laisse la discrétion même si nous déplorons quelques fois, les logiques qui sous-tendent ceux-ci. Nous ne pouvons pas aller au-delà. Je vois mal un syndicat aller en grève, parce qu’on a nommé x ou y. Si le Président choisit les mauvais hommes, il est le premier à en pâtir, même si éventuellement, les agents le ressentent également. Mais, je crois que fondamentalement, le syndicat mène le combat. Il ne fait pas beaucoup de bruit, mais il attire l’attention sur qui de droit, sur les options et les mesures qui sont envisagées.
Le Syndicat déplore souvent des difficultés auxquelles l’Ad­ministration est confrontée. Quel genre de difficultés a-t-elle ?
L’Administration est confrontée à d’énormes problèmes. Nous n’avons pas suffisamment d’effectif ou l’effectif n’est pas de qualité. Vous avez entendu le syndicat dénoncer régulièrement ce qu’on a appelé le recrutement politique. Chaque autorité qui arrive lance un programme de recrutement pour prendre des gens du parti, des neveux, des cousins ou des nièces de x ou de y. Après on dit ; les régies financières sont les mieux rémunérées et on les reverse là-bas. Et souvent, on a des gens qui n’ont pas le profil. Et ça impacte négativement. S’y ajoute le recrutement du personnel d’encadrement qui n’est pas constant.
Le Pastef intervient souvent sur les finances publiques, no­tamment sur l’endettement du Sénégal, pour dénoncer le seuil fixé par l’Uemoa. Selon vous, quel devrait être le seuil normal au lieu des 70% fixés par cette institution sous régionale ?
Je pense que le seuil doit d’abord et fondamentalement dépendre de l’effort interne. A mon avis, plus nous avons une capacité interne, plus on peut se permettre certaines libertés. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut fondamentalement nous réorganiser, reprendre aussi notre dignité, parce qu’il y a des choses qui relèvent de la dignité. Je ne peux pas comprendre qu’on vous torde le bras, qu’on vous impose des choses. Ça se retrouve dans beaucoup de secteurs. Tout ce que le régime actuel fait en termes de projets, profite aux intérêts étrangers. J’ai tendance à dire que nous pouvons être des incompétents, sauf pour construire des bâtiments. Je ne peux pas comprendre qu’on nous dise qu’on va donner le terrain de Pompiers à des Marocains, alors que nos entreprises locales ne peuvent pas accéder au foncier. Sur les cinq entreprises qui sont à Diam­niadio, les deux sont marocaines et occupent une bonne partie des marchés. Une entreprise sénégalaise ne peut pas avoir ça au Maroc. Regardez le secteur bancaire, plus de 90% est détenu par des banques françaises et marocaines. Ces gens-là demain, s’ils voulaient saboter notre économie, ils le feront. C’est une question de dignité, vous ne pouvez pas avoir des capacités internes que vous n’exploitez pas. Et à chaque fois qu’un investisseur étranger débar­que, nos leaders complexés pensent voir Dieu et en même temps aller engager nos enfants et nos petits enfants dans des endettements chroniques. Vous savez, je vais vous dire, vous avez aujourd’hui, des pans entiers du secteur privé qui sont protégés. C’est difficile de les soumettre à un contrôle fiscal, parce que dès que le dossier est proposé à un contrôle fiscal, l’autorité dit niet. Si vous parvenez par extraordinaire à échapper à cette étape, le contrôle fiscal est bloqué à un certain niveau ou bien c’est purement ou simplement annulé. Ou alors même quand les types de perceptions sont remontés et que c’est mis en recouvrement l’autorité peut dire : «Je fais une amnistie fiscale.» Ce qui est illégal d’ail­leurs, parce que seule l’Assemblée nationale devrait être habilitée à le faire. Nous gérons mal nos capacités internes. Si on avait déjà ce préalable-là, on n’aurait pas besoin de chercher 3729 milliards en Europe. Nous compromettons plus de 10 mille milliards par année avec nos capacités internes. Et on va s’endetter. Nous, on n’a pas fait ce travail là et on n’est pas sur la voie pour le faire. C’est cela que nous déplorons et je dis que la capacité ne se fixe pas comme ça ou par mimétisme.
L’octroi massif de marchés aux entreprises étrangères dans le cadre des projets de l’Etat ne signifie-t-il pas que le Président Sall est manipulé par des lobbies ? 
J’ai toujours dit que nous avons un Président extrêmement fébrile et faible face aux lobbies. Il y a des lobbies politiques, affairistes, familiaux, du parti, il y en a de toutes sortes qui se grouillent au niveau du Palais. Dans l’histoire du Sénégal, on n’a jamais vu autant d’hommes d’affaires au cœur du Palais. Voyez le nombre d’hommes d’affaires qu’on a nommé conseiller, qu’est-ce qu’ils ont à faire là-bas ? Dans un pays, nous avons besoin d’un secteur privé fort. Et ce secteur travaille avec l’Etat dans le cadre d’un partenariat public-privé. Mais, ils n’ont pas besoin d’être impliqués. Nous n’avons pas besoin de voir tous ces gens-là autour du Palais. Et chacun n’est là-bas que pour défendre ses propres intérêts et non ceux du Sénégal. Ils sont là-bas pour gagner des parts de marché, pour bloquer tout contrôle fiscal et pour avoir des facilités. On peut citer les lobbies français. Au Port, tout le Mole 2 a été attribué à Bolloré, qui gère tout ce qui est véhicule dans ce pays-là. On peut citer d’autres exemples. C’est cela qui fait qu’aujourd’hui les lobbies sont là. Ils sont français, marocains. Pour quelles raisons, je pense qu’ils sont les seuls à décaisser en dessous de la table, je n’en sais rien. Mais il est constant de dire que les lobbies sont là et sont très forts. Et ils se retrouvent au cœur du Palais et orientent l’essentiel des décisions du Président Macky Sall.
Auteur: Babacar Guèye DIOP
Publié le: Dimanche 18 Janvier 2015

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