A l’initiative de l’institut « Imagine Africa » de M. Pierre Sané, ils ont débattu des maux auxquels leur idéologie est confrontée.
La gauche sénégalaise renaitrait-elle de ses cendres ? Après 17 ¬— ou 22 — ans (12 de Wade + 5 ou 10 ans de Macky) de libéralisme, les socialistes pourront-ils enfin revenir au pouvoir ? Surtout, quand est-ce que la Gauche sénégalaise cessera d’être à la remorque des partis libéraux, hier le PDS (Parti démocratique sénégalais) et aujourd’hui l’APR (Alliance Pour la République) ? Et puis, d’ailleurs, le socialisme a-t-il seulement encore un avenir devant le libéralisme triomphant, quand on sait que, presque partout dans le monde, les partis se réclamant de cette idéologie sont en recul face à non seulement des partis capitalistes mais aussi, plus inquiétant encore, des formations populistes voire carrément xénophobes pour ne pas dire racistes ? Nous avions tendance à croire que le socialisme est mort, enterré, dépassé ? Détrompons-nous ! Car, apparemment, cette idéologie est encore vivante et entend reconquérir le terrain perdu pour transformer le monde dans le sens de le rendre meilleur pour l’Homme. Dans le sens aussi de, à défaut de supprimer toute exploitation de l’homme par l’homme, d’atténuer les effets de cette exploitation sur les couches les plus vulnérables, les classes travailleuses et moyennes, en régulant notamment les effets destructeurs du marché.Bref, il était question de Socialisme, de Gauche, d’Etat, de Dette, de Reconstruction de la gauche sénégalaise, d’Intégration africaine et de Développement lors du séminaire international organisé le weekend dernier à Saly Portudal par l’Institut Imagine Africa de notre compatriote Pierre Sané, ancien secrétaire général d’Amnesty International, ancien directeur général adjoint de l’UNESCO après avoir été cadre de l’ACDI (Agence canadienne pour le développement international). Socialiste lui-même, Pierre Sané, à travers son institut et la FEPS (Fondation européenne d’Etudes progressistes)va organiser au mois de mars prochain à Dakar un grand colloque international sur le thème : « Imaginer l’Afrique ; Socialisme, Développement et Démocratie. Quel agenda et quelles priorités pour la recherche ? » (voir encadré). C’est pour préparer, justement, ce colloque international qu’un « séminaire de préparation intellectuelle » s’est tenu vendredi et samedi derniers à Mbour. Un séminaire qui avait des allures de dernier salon où l’on cause de socialisme avec la présence non seulement de représentants de partis socialistes européens venus par le biais de la FEPS et de la fondation Jean Jaurès, mais aussi de l’essentiel des dirigeants socialistes de notre pays. Plus exactement, c’est presque toute la gauche sénégalaise qui était représentée à ce conclave. En effet, Pierre Sané a réussi le tour de force de réunir autour d’une même table des chapelles aussi diverses que le Parti Socialiste, la Ligue Démocratique (LD), le Parti de l’Indépendance et du Travail, AJ PADS (And Jëf/Parti africain pour la Démocratie et le Socialisme) Authentique, Tekki, le RSD (Rassemblement pour le Socialisme et la Démocratie), Bëss du ñakk etc. Bref, la gauche sénégalaise dans sa diversité. Et pendant deux jours, des dirigeants qui, d’habitude, se saluent à peine lorsqu’ils se rencontrent et ne se fréquentent guère en ville, ont échangé dans une ambiance studieuse et cordiale sur les problématiques liées au socialisme mondial, aux problèmes de la Gauche sénégalaise, à la crise mondiale et ses répercussions sur l’Afrique, aux méfaits de l’ultralibéralisme etc. Réunir dans une même salle Ousmane Tanor Dieng et Aïssata Tall Sall du Parti Socialiste, Robert Sagna du RSD, Moustapha Kâ, ancien ministre et ancien directeur de cabinet du président Abdou Diouf, Ibrahima Sène du PIT, Nicolas Ndiaye de la LD, Landing Savané d’AJ Authentique, Mamadou Lamine Diallo de Tekki, Mansour Sy Djamil de Bëss du ñakk, sans compter l’ancien Premier ministre Mamadou lamine Loum, toujours aussi pertinent, les économistes Sanou Mbaye, ancien de la BAD, et Abdoulaye Sylla du Codesria… il fallait le faire et Pierre Sané et l’institut Imagine Africa l’ont réussi. Le fait de réunir des gens aussi divers était déjà une gageure. Réussir à les faire réfléchir sur les problématiques du socialisme et de la gauche sénégalais ainsi que sur les questions du développement, plus qu’une performance.
Etonnamment, et bien que ce n’était pas vraiment à l’ordre du jour, la question de l’unité de la gauche sénégalaise s’est invitée aux débats. Une unité que presque tous les participants ont appelée de leurs vœux. Un miracle du Ramadan ? Sans doute, tellement cette famille est divisée, ce qui explique d’ailleurs qu’elle soit à la remorque des partis libéraux dans notre pays. Comme l’a dit de manière fort imagée Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti Socialiste, qui présidait la première partie des travaux, « le chercheur d’ombre a rencontré le crépuscule, autrement dit le PS est disposé à contribuer à l’unification de la Gauche. » Le ton était donné. Pour ceux qui n’auraient pas compris, il est revenu à la charge le samedi en estimant qu’’’il faut élaborer un agenda de la gauche sénégalaise’’.
En faisant la synthèse des travaux, Pierre Sané en a tiré « deux grandes conclusions ». La première consiste à imaginer et à construire un agenda de la gauche sénégalaise à travers notamment l’approfondissement de l’indépendance nationale, la consolidation de la démocratie, l’intégration régionale… le tout autour de politiques publiques. De ce point de vue, a-t-il dit, les conclusions des Assises nationales peuvent constituer une bonne base de débats.
La seconde conclusion a trait à l’intégration régionale africaine. Laquelle devrait se faire « sur la base du futur et de la géographie et non sur la base de l’histoire » a estimé le patron d’Imagine Africa. Pour ce qui est du Sénégal, Pierre Sané soutient que toute intégration régionale devrait commencer d’abord par la Gambie, la Guinée Bissau et le Cap-Vert. Le tout, bien sûr, dans le cadre de la Cedeao avec comme locomotives le Nigeria, le Ghana et la Côte d’Ivoire en plus du Sénégal, bien sûr. Surtout, surtout, il préconise la constitution d’un axe Dakar-Abidjan très solide.
Oraisons funèbres pour le Socialisme ?
Pour en revenir à notre bon vieux socialisme, à l’unanimité, les participants ont convenu qu’il est bien mal en point et qu’il a cédé du terrain partout face au libéralisme. Le marché décide de tout aujourd’hui et il n’y a aucune force pour s’y opposer. Sur tous les continents, les forces socialistes sont en reflux. Comme l’a reconnu le secrétaire général de la FEPS, le SPD allemand auquel il appartient, un grand parti social-démocrate qui fut longtemps au pouvoir dans ce pays et y impulsa les plus grandes réformes économiques et sociales qui en font aujourd’hui l’usine du monde devant la Chine avec 200 milliards d’euros (130.000 milliards cfa !) d’exportations en 2013, selon M. Ernst Stetter, donc, « il y a une décennie à peine, le SPD culminait entre 40 et 45 % des suffrages des électeurs allemands ; aujourd’hui, nous sommes particulièrement contents si nous atteignons 25 % ! » Même effondrement en France où, il y a un an à peine, les socialistes contrôlaient tous les pouvoirs, et avaient aussi bien la présidence de la République, le Sénat, l’Assemblée nationale que les Régions, les départements et les communes. Depuis les dernières élections locales, ils ont perdu l’essentiel des collectivités locales qu’ils contrôlaient et se sont effondrés lors des élections européennes qui ont suivi. D’après les sondages, ils devraient perdre la présidentielle et, dans la foulée, l’Assemblée nationale en 2017. Ce qui fait qu’aujourd’hui, le PS n’est pas loin de son étiage. Explication de M. Henry Wéber, ancien député européen (jusqu’aux dernières élections, justement), secrétaire national du PS et auteur de nombreux ouvrages sur le socialisme : « L’industrie française s’est effondrée en dix ans. Elle est passée derrière celles d’Allemagne, de Grande-Bretagne et d’Italie. Les plus de deux millions de Pme françaises n’investissent pas, n’innovent pas. Et François Hollande a produit 450.000 chômeurs depuis qu’il est au pouvoir ! » Quant au Parti Socialiste sénégalais, on sait ce qu’il en est.
Malgré tout, les participants au séminaire de Saly n’entendent pas baisser les bras. Tout en reconnaissant que « la social-démocratie est en crise profonde », ils veulent croire au renouveau du socialisme, à son retour au premier plan au niveau mondial, à la défaite du libéralisme arrogant. Au Grand Soir. Comme l’a dit henry Wéber, annoncé régulièrement comme étant mort, le socialisme n’a cessé de renaître de ses cendres. « Depuis un siècle, ses oraisons funèbres suffisent à remplir une bibliothèque ». Et pourtant, il vit toujours ! Pour Nicolas Genga de la FEPS « Next Left », le socialisme représente « la plus puissante force organisée de critique du néo-libéralisme ». Et de se prononcer « pour un nouveau socialisme ». Lequel, de toutes façons, n’est pas possible sans les valeurs fondatrices du socialisme originel que sont l’Egalité, la Liberté et la Solidarité. Des valeurs auxquelles il convient d’ajouter, selon Me Aïssata Tall Sall très en verve, le Progrès social et, surtout, l’Humanisme car, explique-t-elle, « l’Homme est libre, unique et il doit vivre dans une communauté harmonieuse ».Il convient donc de replacer l’Homme au début et à la fin de tout processus. Objection ! hurle Ibrahima Sène, membre du bureau politique du PIT. « On attribue au socialisme des valeurs qui appartiennent en réalité à la République et qui sont antérieures à tous les socialismes. Les valeurs socialistes, c’est, entre autres, la justice sociale et la solidarité ». Selon, Henry Wéber, les « valeurs éternelles du socialisme », c’est surtout la Démocratie, l’Economie — « car les socialistes ne croient pas à la main invisible » —, mais aussi un projet civilisationnel puisque, dans ce système, le bonheur doit être conçu pour le libre accomplissement de chacun. Quoi qu’il en soit, dit-il, le libéralisme triomphant à l’échelle mondiale, « l’espace pertinent pour une réforme ambitieuse, c’est au moins le continent ». Ce faisant, il semblait répondre aux interrogations de Me Aïssata Tall Sall qui se demandait « comment résister à la mondialisation et à la financiarisation de l’économie ? » avant de répondre que « le socialisme nouveau doit être un socialisme de régulation du marché face aux forces de spéculation ». Ce qui suppose, selon elle, une internationalisation des idées et des moyens d’action. Dans tous les cas, estime-t-elle, l’enjeu du 21ème siècle doit consister à donner de la noblesse et de la crédibilité au politique. Quant à Mamadou Lamine Diallo, il est d’avis lui aussi que « l’une de nos tâches essentielles doit être de voir comment limiter les forces du marché ». Vaste perspective aurait dit le général De Gaulle qui, comme on l’ignore sans doute, fut celui qui a donné aux travailleurs français — et, partant, de la plupart des pays — la quatrième semaine de congés payés. Juste pour donner une idée de la qualité des débats qui ont marqué les deux jours du séminaire « de préparation intellectuelle » au grand colloque qui aura lieu en mars prochain à Dakar. Sur la Dette, sur l’Etat, sur le Libéralisme, les échanges ont été aussi animés et d’un niveau tout aussi élevé que sur le socialisme. Nous y reviendrons. Une chose est sûre, le socialisme n’est pas encore complètement mort puisque le cadavre bouge encore un doigt !
envoyé spécial à Saly,
Mamadou Oumar NDIAYE
Article paru dans « Le Témoin N° 1173 » –Hebdomadaire Sénégalais ( Juillet 2014)
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