Wade a fait une excellente prestation, dans le style causerie autour du feu, qui sied à un contexte où l'incertitude est la chose la mieux partagée. Le président Wade a parlé en "Père de la Nation", avec tout ce que ce vocable induit. Le "Père de la Nation" parle toujours à la première personne du singulier, le "Je" propre à Senghor, De Gaulle et autres Boigny, se confond avec son peuple. Conférez les derniers mots de Wade : «Je veux passer à la postérité es-qualité d'Avocat, primum inter pares, de l'Afrique et du Sénégal - au point de pouvoir leur dire, sans trembler : "Je sais ce qu'il vous faut, je sais comment vous satisfaire, laissez-moi faire"».

Le président a bien vendu sa marchandise, son bilan béton, sa vision de la culture, différente de celle de Senghor, son approche de la question foncière et du développement agricole, ses rapports à l'argent, "sans lequel on ne peut rien faire", la liberté de dire non à l'Occident, la liberté de mettre en œuvre une politique libérale, certes, mais un libéralisme wadien, totalement affranchi du modèle américain ou français. Wade a essayé d'expliquer ses principes de gestion, souvent décriés par les bailleurs de fonds, son point de vue sur la redoutable question des déficits budgétaires, jeu d'enfant pour le disciple de Keynes qu’il demeure.

Malheureusement, cette partie de l'émission que le journaliste de service qualifie, à tort, "d'intimiste", n'a pas eu la part de temps qu'elle méritait. Pourquoi diable l'intervieweur a perdu un temps si précieux à poser des questions dont tout le monde connaît les réponses galvaudées par les relais du candidat Wade ? A-t-on idée de poser des questions de grand'place, questions oiseuses s'il en est, à un géant qui trouve impensable quelque défaite que ce soit...

Cela dit, Wade a fait bonne impression, évité de traiter par-dessus la jambe ses adversaires politiques, se fâcher et donc fâcher les électeurs. Aucun dérapage, sauf les tirs nourris sur les "Toubabs", quelque peu excessifs. Même s’ils le méritent bien… Le journaliste, lui, n'a pas été à la hauteur, n'a pas posé les bonnes questions.

Wade a certes marqué des points, mais il devra en marquer d'autres en centrant ses prochaines sorties télévisuelles sur la Constitution, le modèle économique qu'il prône, la redéfinition de la politique étrangère du Sénégal, la Casamance, les dossiers judiciaires en instance, la succession, les rectificatifs qu'il entend apporter aux programmes qui, pour dire le moins, n'ont pas donné satisfaction. Et, surtout, le dire en wolof, la langue des électeurs.