La place du Premier Ministre dans l’architecture institutionnelle du Sénégal : un équilibre à préserver (Par Boubacar Mohamed SY)
La question de la place du Premier Ministre dans l’architecture institutionnelle du Sénégal constitue un débat récurrent. Elle s’est particulièrement ravivée avec l’ascension politique d’Ousmane Sonko, dont la légitimité impressionnante et son influence énorme sur l’échiquier politique national ont suscité un regain d’interrogations sur le rôle et les pouvoirs attachés à cette fonction.
Comprendre la pertinence du poste de Premier Ministre, dans un État au régime présidentiel comme le Sénégal, nécessite de s’interroger à la fois sur la structure constitutionnelle du pays, sur les enseignements de l’histoire nationale et sur des comparaisons internationales.
Il est essentiel, dès le départ, de souligner deux écueils majeurs à éviter :
• Le premier serait d’envisager une révision de la Constitution ou de légiférer pour répondre à la présence momentanée d’un acteur politique jouissant d’une popularité ou d’une légitimité impressionnante. Une telle démarche serait opportuniste et mettrait en danger la stabilité institutionnelle.
• Le second serait de fragiliser la fonction présidentielle, pierre angulaire de l’État démocratique sénégalais. Le Président de la République, élu au suffrage universel direct par l’ensemble des citoyens inscrits sur les listes électorales, détient une légitimité populaire unique et incontestable, laquelle constitue le fondement de son autorité et de sa capacité à garantir le fonctionnement régulier des institutions.
Cela dit, même si le Président occupe une position centrale voire inaccessible, il demeure soumis aux limites fixées par la Constitution. Par exemple, l’article 50 de la constitution du Sénégal précise en ce sens que le chef de l’État ne peut tout déléguer de ces pouvoirs.
Le respect scrupuleux de la Constitution est donc une condition sine qua non pour que le Sénégal demeure un État de droit et une démocratie crédible. Tous les acteurs politiques doivent en permanence consulter et appliquer ces règles pour préserver l’équilibre institutionnel et la primauté des lois.
Le Sénégal, dans sa configuration institutionnelle actuelle, adopte un régime présidentiel, excluant la dualité exécutive caractéristique des régimes parlementaires. Cette orientation n’est pas le fruit du hasard. L’histoire du pays offre des leçons précieuses.
En 1962, la cohabitation, forcée ou pas, entre deux sommités politiques, Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia en l’occurrence, avait créé une situation de tension extrême. La rivalité institutionnelle entre ces deux figures, toutes deux dotées d’une autorité intellectuelle et politique considérable, avait failli provoquer une crise institutionnelle majeure.
La leçon de cette période est claire : le bicéphalisme de l’exécutif peut être source de paralysie et de fragilité, et la consolidation d’un régime présidentiel a permis de stabiliser le pays et de mettre en place un système plus adapté aux réalités sénégalaises.
Toujours, la comparaison avec la France est éclairante. Le Général Charles de Gaulle fut élu en 1958 par les parlementaires, dans le cadre d’un régime largement parlementaire. Ce qui limitait la primauté du Président de la République. Ce n’est qu’en 1963, à l’issue d’un référendum historique, que le Président français est élu au suffrage universel direct, renforçant sa légitimité et sa primauté sur le Premier Ministre et sur toute autre autorité politique dans le pays.
Toutefois, la Constitution française de la Ve République confère au Premier Ministre des pouvoirs importants. À travers le gouvernement, il détermine et conduit la politique de la Nation. Sa puissance réelle se manifeste particulièrement en période de cohabitation, lorsque le Président et le Premier Ministre appartiennent à des majorités politiques différentes. Cette spécificité illustre l’hybridité du régime français depuis 1963 et l’instauration de l’élection du Président de la
République au suffrage universel direct : le Premier Ministre demeure un acteur constitutionnellement fort, capable d’influer sur l’action gouvernementale, mais il ne fragilise pas ou ne peut fragiliser la fonction présidentielle lorsque les majorités sont alignées.
Au Sénégal, aucune cohabitation ni dualité n’est prévue au sommet de l’État.
La primauté présidentielle est protégée et renforcée clairement.
L’article 42 de la constitution dispose ceci :
Le Président de la République est le gradien de la constitution. Il est le premier protecteur des Arts et des Lettres au Sénégal.
Il incarne l’unité nationale. Il est le garant du fonctionnement régulier des institutions, de l’indépendance nationale et de l’intégrité du territoire.
Il détermine la politique de la nation.
Il préside le conseil des ministres.
Ce seul article est révélateur de ce qui précède.
Par suites, l’article 49 de la constitution dispose que le Président de la République nomme le Premier Ministre et met fin à ses fonctions. Cette disposition souligne que la puissance politique du chef de l’État est indiscutable et que le Premier Ministre, malgré son rôle central dans l’exécution de la politique nationale, reste subordonné à l’autorité présidentielle. Sur proposition du Premier Ministre, le Président nomme les ministres et secrétaires d’État, fixe leurs attributions et met fin à leurs fonctions. Cette organisation illustre une hiérarchie institutionnelle claire et protège la stabilité de l’exécutif.
Le Président bénéficie par ailleurs d’une quasi-irresponsabilité. Ne pouvant être poursuivi que pour haute trahison, notion non codifiée dans le droit pénal, il dispose d’une immunité exceptionnelle.
Élu pour un mandat défini, 5ans ; il le mène à terme conformément à l’article 25 de la Constitution.
Dans ce cadre, le Premier Ministre joue un rôle crucial : il rend compte du travail exécuté sous l’impulsion présidentielle et assume la responsabilité de la politique gouvernementale devant l’Assemblée nationale et le Président (article 53).
Cette articulation garantit la continuité de l’action de l’État et protège l’autorité présidentielle. Il le faut nécessairement.
Force est de constater, au demeurant, que cette réalité a la fois spirituelle et constitutionnelle fait du Premier Ministre actuel effectivement quelqu’un dont l’envergure dépasse la fonction de Premier Ministre. En ce sens, devait-il être ou accepter d’être Premier Ministre au sortir de l’élection du Président Bassirou Diomaye Faye à la fonction suprême. C’est cela la véritable interrogation.
Sur un autre registre, là où il faut s’interroger et la pertinence de la declaration de politique générale par le Premier Ministre. Une inadéquation réelle entre ce qui est fait et ce qui devrait être fait, à trouver, est patente. En effet, c’est le Président de la République qui détermine la politique de la Nation. Politique présentée par le Premier Ministre devant la représentation nationale. La sanction, par le Motion de censure du Premier Ministre, peut paraître injustifiée ou injuste.
De même, il serait important de substituer déclaration de politique générale du Premier Ministre par Présentation par le Premier Ministre de la politique définie par le chef de L’Etat.
Il reste important de rappeler un principe fondamental de l’équilibre institutionnel : si jamais la réduction des pouvoirs présidentiels devait être envisagée, ce ne serait pas pour accroître l’autorité du Premier Ministre, mais pour renforcer l’ensemble des pouvoirs de l’État et consolider la séparation des pouvoirs, conformément aux principes de Montesquieu. Un pouvoir véritablement démocratique doit être contrôlé par un autre, et cette logique demeure essentielle pour garantir la stabilité et la légitimité institutionnelle. La puissance de l’État repose donc autant sur ses structures constitutionnelles que sur la compétence et l’intégrité des hommes qui les incarnent.
En définitive, la fonction de Premier Ministre, loin de concurrencer celle de Président, constitue un pilier fondamental de l’architecture institutionnelle sénégalaise. Elle assure la continuité de l’action de l’État, protège l’autorité présidentielle et participe à la bonne marche des institutions. Son rôle, bien que subordonné au Président de la République, est central pour la coordination du gouvernement et la mise en œuvre de la politique nationale, garantissant ainsi la stabilité, l’efficacité et la légitimité du système politique sénégalais.
Boubacar Mohamed SY
Juriste - Écrivain - Analyste politique
Commentaires (9)
Lui, Sonko, il n’a qu’à s’investir pleinement dans le travail que lui a confié le président de la république et diminuer la politique pour 2029. Sinon, le Pr Diomaye doit trouver quelqu’un d’autre. On n’a pas besoin d’un 1er minister super fort, on a besoin d’un 1er ministre fidèle, respectueux des institutions, qui travaille pour le président et son programme, parce qu’apres tout, c’est le mandat du président Diomaye. Si Sonko veut faire moitié-moitié, un pied dedans-un pied dehors, le président doit prendre ses responsabilités.
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