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*Maslaa : quand l’arrangement devient un frein au développement* (Par Abdoulaye Dieng)

Auteur: Abdoulaye Dieng, entrepreneur

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*Maslaa : quand l’arrangement devient un frein au développement* (Par Abdoulaye Dieng)

Le Sénégal traverse une phase singulière de son histoire : celle d’une société qui ne s’effondre pas, mais qui peine à avancer. Une société qui fonctionne, mais sans souffle durable, sans dynamique profonde. Cette situation tient certes à des facteurs économiques, institutionnels ou politiques, mais elle révèle surtout un malaise plus profond, rarement interrogé avec rigueur : un malaise moral et culturel. Parmi les notions qui structurent silencieusement ce malaise figure le maslaa, devenu au fil du temps un réflexe social, parfois présenté comme une sagesse, mais dont les effets sur notre trajectoire collective méritent d’être questionnés.

Il convient de rappeler que le maslaa tel qu’il est employé aujourd’hui n’est qu’une altération d’un concept fondamental du droit musulman : la maslaha. Dans son acception originelle, la maslaha renvoie à la recherche du bien commun et de l’intérêt général. Elle constitue un principe central de gouvernance éthique, reconnu par l’ensemble des grandes écoles juridiques de l’islam, et vise à protéger les finalités supérieures de la loi : la foi, la vie, la raison, les biens et la filiation. Rien, dans cette conception, ne saurait justifier l’injustice, la complaisance ou la compromission.

Or, dans l’usage courant, le maslaa s’est progressivement éloigné de cette exigence morale pour devenir un mécanisme d’évitement. Il sert à différer les décisions difficiles, à diluer les responsabilités, à neutraliser la sanction et finit par légitimer, sous couvert de paix sociale, des injustices pourtant évidentes. Cette transformation s’inscrit dans un modèle socioculturel complexe où la religion occupe une place centrale dans l’espace public, sans toujours exercer pleinement sa fonction éthique et régulatrice. Comme l’avait lucidement observé Seyd El Hadji Malick Sy, la coutume tend parfois à l’emporter sur la norme morale, créant une ambivalence persistante dans notre rapport aux valeurs.

Ce diagnostic n’est pas nouveau. Dès 2013, Seynabou N’Diaye, femme engagée et lucide, mettait en garde contre la masla conçue comme « l’art d’arrondir les angles en contournant les problèmes au lieu de faire face ». Elle alertait sur les dangers d’une paix sociale recherchée à n’importe quel prix, au détriment de la vérité politique, de la maturation démocratique et de l’émergence d’une conscience citoyenne assumée. Elle rappelait que vouloir étouffer les contradictions au nom du maslaa revient souvent à différer, voire à compromettre, les transformations nécessaires.

À force de privilégier l’arrangement sur la clarification et le pardon sur la responsabilité, une tolérance excessive à l’égard des dysfonctionnements s’est installée. Dans la famille, l’administration, l’éducation, la santé ou la vie publique, les fautes sont souvent relativisées, rarement assumées, et encore moins sanctionnées. Cette élasticité du pardon, loin de renforcer la cohésion sociale, affaiblit l’autorité des règles et la confiance dans les institutions.

Les conséquences sont visibles : dégradation de la qualité des services publics, difficulté à faire respecter les normes collectives, défiance persistante entre l’État et les citoyens. Le développement, qui exige rigueur, constance et responsabilité, se heurte alors à un plafond invisible mais solide : celui d’une culture qui hésite à tirer toutes les conséquences des manquements constatés.

Il ne s’agit ni de renier notre héritage culturel ni de condamner la tolérance ou le pardon, piliers de notre vivre-ensemble. Il s’agit de les rééquilibrer. Le pardon sans vérité ni responsabilité perd sa vertu. La tolérance sans exigence devient une faiblesse collective. La paix sociale durable repose sur la justice et l’équité.

Le Sénégal dispose d’atouts considérables : cohésion sociale, tradition spirituelle riche, capital humain reconnu. Pour les transformer en leviers de développement, il est indispensable de réhabiliter le sens de l’intérêt général, de redonner à la sanction juste sa fonction éducative et de faire confiance à notre jeunesse, à sa lucidité et à sa capacité à inventer un avenir nouveau.

À l’heure où s’achève une année de plus, il est d’usage de souhaiter une bonne fin d’année. Puisse-t-elle être paisible. Souhaitons surtout que l’année à venir nous trouve moins enclins à confondre paix sociale et renoncement, pardon et impunité, maslaa et intérêt général. Ce serait là, sans doute, le plus utile des vœux pour le Sénégal.

_Cette tribune est dédiée à la mémoire de Seynabou N’Diaye, membre du Conseil sénégalais des femmes (COSEF), femme engagée et conscience libre, dont la lucidité, le courage intellectuel et l’amour exigeant du Sénégal continuent, sept ans après sa disparition, d’inspirer celles et ceux qui refusent la facilité de l’arrangement au détriment de la vérité._

Par Abdoulaye Dieng

Auteur: Abdoulaye Dieng, entrepreneur
Publié le: Mardi 30 Décembre 2025

Commentaires (5)

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    Gonga il y a 4 heures
    Gonga, le masla à la sénégalaise ce n’est rien d’autres que de l’hypocrisie - l’irresponsabilité, avec le masla on ne résout pas les problèmes on ne fait que les aggraver , le Sénégal est l’un des rares pays quand la femme est battue au lieu de l’aider à sortir du grief d’un violent on évoque le masla, quand un membre de la famille viole , on remet le masla pour pas l’emprisonner , en cas de vol , etc…. Le masla vient toujours en mode sauveur . Dans les sociétés avancées on sanctionne quelqu’un quand il commet des fautes ainsi ces sociétés ne font qu’avancer alors que chez nous on recule à chaque fois
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    Mane il y a 4 heures
    Trop de masla est de l hypocrisie. Immaturité et une foi faible
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    Gora Fall il y a 4 heures
    Un texte d'une haute portée et très instructif sur le mal qui gangraine ce pays. J'espère que ceux qui nous dirrigent en prendront de la graine pour imposer la rigueur partout,surtout au niveau de la justice. Merci Mr Dieng pour cette note ô combien véridique
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    Ko il y a 4 heures
    C'est l'attitude de certaines et même de plusieurs voire de centaines de personnes dans pastef qui n'osent pas dire la vérité à l'habitué de lupanars et maisons closes comme sweet beauty.
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    Julio il y a 4 heures
    'Maslaa' mo deugueul 'Sath' qui est le plus gros probleme du Senegal. Ca vole et detourne PARTOUT sas aucune consequence... Donc ca continue a vvoler, detourner, truander. Personne ne oeut investir au Senegal a ause du 'Sath'. et il n'y a aunce justie contre les 'Saths'.
    Le 'Maslaa' justifie le 'Sath' qui retarde le Senegal

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